Chapitre 6 (1/2) - Charlie

57 8 77
                                    

Ses paupières s'affaissèrent lourdement sur ses yeux. Pour sa troisième tentative de les relever, Charlie était loin du succès. C'était ce qui, en partie, rendait la situation frustrante car dans sa vie tout avait toujours été une affaire de succès. L'exigence étant fondamentale pour une femme née le douze juillet 1998.

Pour le reste, sa frustration germait aussi dans ses souvenirs pâteux et indéchiffrables et dans l'absence de réponse de son corps, totalement inconscient sous elle. 

Si elle avait pu serrer les dents elle l'aurait fait mais à l'instant tout en elle semblait anesthésié. Sauf, bien sûr, cette parcelle lucide de son cerveau qui lui permettait de le constater.

- Ou ...t-il ? Ou se...rouve Tom...so ?

Depuis qu'elle s'était réveillée cinq minutes plus tôt, - réveillée étant un grand mot -, Charlie avait assisté à la discussion la plus confuse jamais perçue à l'oreille humaine. Des syllabes par-ci, d'autres par là. Un charabia incompréhensible et voilé. Cela ne l'avait pourtant pas empêché de distinguer plusieurs tonalités de voix : deux féminines et trois masculines.

Puis, elle s'était endormie pour quelques minutes. Du moins, c'était ce que disait la progression avancée d'un filet de salive sur son menton. Elle voulut l'essuyer du revers de sa manche mais à l'exception de son alarme interne, aucune autre partie de son corps ne lui répondait.  

Autour d'elle, les sons persistaient à être flous, ricochant selon un rayon plus ou moins proche d'elle sans jamais vraiment s'éloigner. Le jeu de voyelles qui perdaient leurs consonnes et de mots qui ne se terminaient pas. Une forme de taquinerie dont elle se serait passé si elle n'hésitait pas entre deux hypothèses : soit ses tympans avaient rendu l'âme en même temps que sa mémoire, soit elle se trouvait dans un espace clos et restreint. 

Si la dernière option était la bonne, son cachot était plus spacieux qu'un coffre de voiture mais plus exigu que la banquette arrière du SUV d'Eduardo, l'oppressant sans vraiment l'oppresser. Tous les scénarios étaient possibles bien qu'à travers ses expirations faibles, elle percevait le vrombissement d'un moteur lancé à pleine vitesse. Quand son ronronnement accéléra, un à-coup violent la propulsa de droite à gauche comme une vulgaire poupée de chiffon. La sensation lui parut drôlement proche de celle vécue lors de son enfance alors que la voiture de son père circulait sur des sentiers gravillonnés pour se rendre en bord de mer.

Se rendait-elle en bord de mer ? Si oui, quand avait-elle pris cette initiative ? Avant ou après avoir ingéré une demi-douzaine de somnifères ?

- Et toi Adria..., ou sont tes hom... ? 

Charlie vacilla, brassées par des secousses sous ses fesses qui firent trembler sa mâchoire inférieure. Sa tête était penchée en avant, pesant sur sa nuque pliée. Son menton, posé sur son sternum. Son crâne vaseux et grésillant. 

Elle retint une respiration au passage d'un pneu dans un nid de poule et se sentit catapultée dans le vide. Elle aurait pu crier mais ses lèvres restèrent scellées. Cela jusqu'à ce que son épaule rencontre un relief chaud, dur et rembourré. La sensation de vertige s'arrêta là. Quand des doigts, qui n'étaient pas les siens, attrapèrent sa clavicule pour la redresser contre un siège, Charlie comprit deux choses : elle était assise et quelqu'un l'était également juste à côté d'elle. Ce qu'elle avait pris pour une accoudoir molletonné devait être en réalité, un genou ou bien un coude. Tant que ses fichues paupières refusaient de s'ouvrir, elle n'était pas en mesure de le savoir même si le battement vif d'un pied sur le sol, non loin de son point de chute, lui donna un indice.

Un genou donc.

Une seule certitude, trop maigre à son goût, la gardait en éveil : elle était surveillée et inconsciente dans une voiture, bouillonnante d'une fureur inexprimable car son corps refusait de se réveiller. 

τρία - Nouvelle versionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant