Chapitre 1 - Adrian

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Adossé au cadre de la porte d'une chambre qui lui avait été inconnue dix minutes plus tôt, Adrian en gratta distraitement la peinture écaillée. Cela, à force d'ongles qui tenaient davantage de minables morceaux de kératine que d'une manucure à minima soignée, - généralement attendue chez l'adulte lambda dans sa petite trentaine. Celui dont le coupe-ongle était un ustensile à part entière plutôt que le croisement entre deux molaires acérées.

Du haut de son mètre quatre vingt douze, digne du patrimoine génétique qu'il partageait avec la famille Taviani, il atteignit, - quand il estima en avoir terminé avec la partie gauche de l'encadrement -, les angles les plus coriaces de la voûte en bois placée au-dessus de lui. Tout cela sans qu'il ait besoin de se hisser sur ses pieds.

- Pour te la faire courte, il s'agit de la valorisation d'une origine face à une autre pour permettre de maintenir une égalité d'accès aux études pour tous.

Il baissa les yeux du chantier provoqué par son ennui, pour lequel ses ongles n'avaient d'utilité que celle d'outils pour l'exprimer, et les posa sur la silhouette de sa sœur. La grande brune qui venait de s'exprimer. Systématiquement habillée d'une veste en cuir et qui avait le don de lancer des débats à qui voulait bien les entendre. 

Lui faisant dos, elle ne le vit pas lâcher sur le sol, le morceau de peinture solide dont il était venu à bout. Elle ne le vit pas non plus tenter de reprendre le fil de la conversation à laquelle il avait préféré le cadre de cette porte et sa peinture écaillée. 

A un peu moins de midi, il était trop tôt pour ce genre de conneries. Surtout quand on l'avait arraché à son café matinal, siroté confortablement, comme tous les jours à huit heures, à la terrasse du TAGAY TAYO. 

- Tu peux me rappeler la question s'il te plait. grommela-t-il évasivement.

Andrea Taviani broncha en une respiration roulante, signe qu'elle appréciait moyennement d'être à demi-écoutée. Son carré de cheveux bruns, coupé au millimètre près, fendait nettement sa gorge juste au-dessus de son épaule. Un rendu capillaire strict qui aurait pu être plaisant au regard,  s'il n'avait pas dénoté son besoin psychotique de tout contrôler.

- Que penses-tu du fait qu'ils aient abrogé cette loi "favorable" à la discrimination positive pour les étudiants aux Etats-Unis? répéta-t-elle.

Abrogé. Loi. Discrimination. Trop tôt. Bien trop tôt. Son oreille n'avait envie que d'une chose : s'éclipser de cette conversation, dont il ne maitrisait pas tous les aboutissants, et laisser son esprit divaguer sur n'importe quelle autre distraction. C'était sans compter les grondements de gorge de sa sœur et la tension de ses épaules sur lesquels reposait sa tête inclinée. Deux stigmates de son attitude de travail qui l'encourageaient fortement à en faire de même. 

Heureusement pour lui, et comme à son habitude, quand son ainée lui causait, ce n'était jamais de face. Il s'adressait donc à l'arrière d'un crâne chevelu, qui à sa connaissance ne possédait pas d'yeux indiscrets capables de le dénoncer de s'égarer à nouveau sur les reliefs de la porte.

- Et tu me demandes ce que j'en pense ?

Elle se retourna et le toisa, accroupie face au mur et pivotée vers lui autant que le lui permit le cuir noir de son pantalon si serré qu'il semblait handicaper chacun de ses mouvements. 

- C'est précisément ce que je viens de te demander, oui.

Il observa les contours de son nez droit se plier en une grimace moqueuse quand les mèches de ses cheveux lisses s'en écartèrent suffisamment pour qu'il puisse les apercevoir. Comme si elle le jugeait bête de rebondir ainsi à son propos. 

τρία - Nouvelle versionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant