Bonne nuit Jiji

Nuit 12

Nul n'aurait su dire si le réveil était en train de protester ou d'exulter. L'intensité de ses cris augmentait à mesure qu'il était ignoré. Cela ne lui plaisait pas, apparemment. Mais Jiji n'avait pas le cœur à bouger. Elle était si bien tout au fond de son lit, blottie dans la chaleur de ses couvertures. La lumière de l'étoile flottante à ses côtés pour l'envelopper et la douceur du pelage de Puce pour l'apaiser, rien ne pouvait convaincre Jiji de bouger.

Pas même une feuille ?

Une feuille oui, une petite feuille brune tout sèche venait de se glisser sous les draps de la petite fille. Elle en fut si étonnée qu'elle se redressa sur ses coudes pour l'examiner. À la lumière de l'étoile flottante, il s'agissait d'une feuille séchée ordinaire.

Mais d'où venait-elle ?

Sortant la tête du lit, Jiji dut se boucher les oreilles pour calmer les sifflements provoqués par le courroux du réveil. Elle le fit taire d'une tape de la main. Elle tapa en même temps une autre feuille.

Il y en avait aussi une sur son oreiller et une autre sur sa couverture, et des dizaines d'autres sur le sol. Et des centaines d'autres jaillissant de la porte de la salle de bain. Jiji posa l'étoile flottante sur sa table de nuit, prit Puce avec elle puis plongea dans la mare de feuille. Nager dans cette verdure brune amusa Jiji. Elle roula, sauta, s'immergea jusqu'au cou. Comme il était bon de rire. La petite joua encore bien longtemps, elle avait des feuilles incrustées dans son pyjama et même dans ses cheveux. Elle ressemblait à une petite fée des bois.

Éreintée, elle se laissa complètement tomber dans le tas mais se releva bien vite. Quelque chose venait de lui piquer le dos. Ecartant les feuilles de ses doigts, elle se mit à chercher ce qui l'avait touché. Elle se heurta au vide plus d'une fois, rencontra même le sol froid à force de repousser les branches. Elle décida de changer d'approche et ferma ses yeux, laissant le toucher de sa main la guider.

Celle-ci rencontra bientôt un objet long, tout fin et froid qui lui piqua un doigt. Intriguée, Jiji constata qu'il s'agissait d'un crayon à papier. Que faisait un crayon dans un tas de feuille ?

Elle eut beau l'examiner, Jiji ne lui trouva rien d'étrange. Elle s'amusa à le faire tournoyer autour d'elle innocemment mais eut un sursaut quand une bourrasque de vent s'abattit sur le mur. Dans l'air, d'étrange cercles gris étaient apparus autour de Jiji, là où la mine de crayon avait fendu le vide.

Le souffle coupé par le prodige, Jiji redessina délicatement des vaguelettes dans l'air, provoquant un nouveau vent qui transporta les feuilles en un tourbillon qui se rapprochait. À la vitesse de l'éclair, Jiji tira les rideaux et ouvrit la fenêtre de sa chambre, laissant les feuilles libres de s'envoler dans la nuit. Il n'en restait plus une seule dans la nuit.

Jiji était encore un peu surprise par l'exploit du crayon, et un peu inquiète aussi. Ce n'était pas la première fois qu'un objet la fascinait. Trop fatiguée pour réfléchir, Jiji posa le crayon près de l'étoile flottante et retourna se coucher avec Puce.

Elle ne vit pas le tiroir de sa table de nuit se mettre à scintiller, tout comme l'étoile flottante.

Bonne nuit, à demain.