Nuit 9

5 1 0
                                    

La sonnerie de minuit retenti dans la chambre, pendant un très court instant. Jiji l'arrêta aussitôt, il la dérangeait dans son visionnage. Depuis les prémices de la nuit, la petite fille n'avait pas détaché le regard du livre. Chaque page révélait de nouvelles merveilles, de nouveaux trésors à observer. Le tout baignant dans cette clarté lunaire si envoutante. Même lorsqu'elle eut parcouru chaque élément du livre, elle repartit au début et recommença sa contemplation.

Le temps passa, Jiji bougea parfois dans son lit. Par deux fois, elle se rendit aux toilettes ou remplit un verre d'eau. Pourtant, elle ne lâcha jamais le livre. Il était encore dans ses mains quand elle utilisa le robinet. Une goutte d'eau effleura l'une des pages et se changea en bulle, à son grand émerveillement.

Sur les toilettes, la page sur laquelle elle était joua une petite mélodie qui la rendit joyeuse. Regarder le livre était une telle source de bonheur que rien ne put la distraire, pas même au moment où elle se cogna la tête en voulant quitter la salle de bain.

Elle ne ressentit rien.

Jiji retourna gaiement sur son lit, posa le livre sur l'oreiller et continua de le parcourir, fredonnant la mélodie qu'il lui avait montré. Cependant, un autre son réussit enfin à s'imposer à ses oreilles. Faible mais tenace. Il continua, il persévéra dans son chant jusqu'à ce que Jiji leva la tête de son livre. Bien sûr qu'elle avait reconnu le chant, un carillon comme les pages du livre. Mais elle n'avait touché aucune page.

Les yeux éblouis de Jiji scrutèrent la pénombre de la chambre. Ils voyaient mal à cause de la lumière des pages qui poursuivaient leur propre mélodie. Jiji se leva de son lit pour s'éloigner quand elle se stoppa net. Elle sentit quelque chose de doux, soyeux même et pelucheux sous ses pieds.

Puce ! Elle marchait sur Puce !

Jiji retira son pied vivement, comme parcourue d'un courant électrique. Puce était par terre et depuis un moment. Elle la prit entre ses mains et en voyant la petite chienne ratatinée, des larmes coulèrent sur les joues de l'enfant.

S'accablant de mille reproches, elle referma violemment le livre dont la lumière déclina. Il était dangereux. Il lui avait fait marcher sur Puce. Elle ne pouvait pas le garder, au risque de retomber sous son emprise. Jiji alla chercher la liane de mouchoir qu'elle avait conservé, en noua une partie autour du livre puis se glissa sous le lit.

Il n'y avait rien.

Après un instant de crainte suivis d'une réflexion, Jiji posa le livre à l'endroit où se trouvait le trou. Le gouffre réapparut aussitôt entrainant le livre dans une chute vertigineuse. Jiji eut le réflexe de retenir la liane tandis que le livre disparaissait dans l'obscurité. Elle hésita, toutes ces beautés que le lui avait laissé voir disparaitraient à jamais. Mais alors que la mélodie des pages retentit de nouveau, Jiji lâcha la liane. Puce comptait bien plus à ses yeux. Le livre sombra dans le gouffre qui se referma sur lui-même.

Épuisée, Jiji pleura en tenant fortement sa chienne dans ses bras. Elle s'en voulait tellement, pour tout. Pour Puce évidemment, mais aussi pour l'étoile flottante. Le cœur gonflé de chagrin, Jiji se remit au lit, Puce au creux de ses bras. Elle ne s'endormit que lorsque ses pleurs l'éreintèrent.

Avant qu'elle ne pût distinguer le crissement des bouts de verre.

Bonne nuit, à demain.

Bonne nuit JijiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant