Bonne nuit Jiji

Nuit 5

À minuit, le réveil ne sonna pas. Ou plutôt, il n'en eut pas l'occasion. Jiji, déjà levée de son lit, l'avait éteint juste avant minuit. Toujours effrayée mais déterminée, la petite fille s'était déjà préparée. Les pieds chaussées de ses pantoufles, son corps enveloppé dans sa robe de chambre, sa vieille lampe de poche à la main et Puce attachée à son épaule grâce à une écharpe, elle était prête. Il fallait aller récupérer son bocal, l'étoile flottante.

Avec une main tressaillant d'appréhension, Jiji ouvrit la porte de l'armoire et alluma sa lampe de poche. Elle s'engouffra entre les robes, les manteaux, les déguisements et les pulls, avançant autant que ses pieds le lui permirent. Elle finit par dépasser les vêtements et ne plus rien sentir autour d'elle. Tout ce qui l'accueillit fut l'obscurité.

Que du noir partout, du noir et du silence. La lampe torche de Jiji se mit à clignoter, d'abord lentement puis de plus en plus rapidement. Jusqu'à s'éteindre complètement.

L'obscurité venait d'engloutir Jiji.

La petite fille posa la main sur Puce, qu'elle caressa pour se donner du courage. Elle eut pourtant un sursaut de frayeur quand un vrombissement tonna autour d'elle. Un bourdonnement terrible qui fit que Jiji n'avança qu'à petits pas, sans lâcher Puce une seule fois. Elle ne le pouvait pas.

À mesure qu'elle se rapprochait, l'épouvantable rugissement devint un bruissement, s'apparentant à un ronflement.

Quelqu'un dormait, et profondément.

Au milieu des ombres se détacha un minuscule éclat, très fin mais assez brillant pour émerger du néant. Comme une étoile dans le ciel nocturne. L'étoile flottante !

Jiji accéléra son pas. Plus elle s'approcha, plus la lueur se fit plus nette. Pourtant, elle paraissait faible. Plus faible que sa radieuse étoile. Ce fut le ronflement qui la stoppa. Elle était proche, très proche. La respiration bruyante s'était amplifiée à chacun de ses pas. La créature de l'armoire était maintenant à ses pieds, endormie, tenant le bocal entre ses doigts.

La lumière de l'étoile s'était amoindrie, il ne restait plus qu'une étincelle vacillante. L'étoile flottante mourrait dans cette mer d'ombre. Elle était terrifiée, mais Jiji réussit à trouver la force d'avancer les mains pour dégager le bocal de celles de la créature de l'armoire. Elle ne le voyait pas, elle ne pouvait que l'entendre respirer. En ayant repris le bocal, Jiji en fut si soulagée qu'elle le serra contre elle.

Elle aurait plutôt dû courir.

Le frottement du bocal contre l'écharpe maintenant Puce défit le nœud la retenant sur son épaule, la laissant tomber. La peluche heurta le sol dans un fracas de grelot.

Les ronflements se stoppèrent.

Paniquée, Jiji récupéra Puce et courut comme jamais. Elle entendit un pas derrière elle. Sa course se poursuivit encore dans l'obscurité, cherchant à se repérer avec l'étincelle qui lui restait. Elle entendit des pas précipités derrière elle.

Enfin, elle aperçut les premiers contours des manteaux. Ses jambes accélérèrent le rythme. Elle sentit quelque chose effleurer ses cheveux. Alors elle sauta de toutes ses forces entre les vêtements et atterrit dans sa chambre. Jiji referma précipitamment la porte de l'armoire et se colla contre elle. Celle-ci fut secouée de l'intérieur. Jiji ramena ses jambes à elle tout en étreignant Puce et le bocal. Une larme de crainte s'échappa de son œil et tomba dans le bocal.

Tout à coup, l'étincelle se gorgea de cette eau et grossit, encore et encore. Elle devint si brillante que Jiji dut fermer les yeux. Quand elle les rouvrit, la porte ne bougeait plus, la chambre était redevenue calme.

C'était fini.

Encore tremblotante, Jiji se remit au lit. Toujours avec sa robe de chambre. Toujours avec Puce et le bocal entre ses mains. Toujours les yeux fixant la porte de l'armoire. Elle ne s'endormit que lorsque ses paupières rendirent les armes.

Et que lorsqu'elle entendit le carillon du grelot.

Bonne nuit, à demain.