Wattoscopies

Wattoscopie : la Symphonie des cœurs de @Clementinaclem

La wattoscopie, c'est la petite escapade sur Wattpad, un moment privilégié où l'on se fait plaisir avec des nouveautés.

Faut-il sacrifier à certaines techniques narratives pour être sûr de capter un lectorat ? Cette question, il n'est pas honteux de se la poser. Publier un roman sur Wattpad pour se rendre compte que les lecteurs vous abandonnent au bout de quelques chapitres, ce n'est pas très valorisant.

Il existe donc des procédés assez faciles à mettre en œuvre et qu'on voit systématiquement appliqués dans la plupart des wattpads à succès : début in medias res, behaviorisme, peu de psychologie, descriptions en coups de poings, cliffhangers systématiques quitte à ce qu'ils soient artificiels, etc.

Je ne dis pas que le succès est assuré avec ces ruses narratives, mais c'est une garantie de se constituer un petit groupe de fidèles lecteurs. Le lecteur idéal sur Wattpad, c'est celui qui vous suit jusqu'au bout et vous pardonne les éventuelles maladresses que vous avez laissé échapper. Mais ils ne sont pas tous comme ça, il y en a beaucoup qui picorent. Si vous commencez à décrire longuement le cadre où se déroule votre récit, si vous évoquez au lieu de montrer, si votre prose se perd dans des envolées poétiques, vous prenez le risque d'indisposer les personnes qui ont eu la curiosité de cliquer sur votre histoire.

La Symphonie des cœurs de Clementinaclem ne cherche pas à attirer les lecteurs à tout prix et c'est peut-être ce qui en fait le charme. Ce n'est pas la 1re fois que je tombe sur une histoire qui n'est pas du tout formatée et qui semble avoir tout de suite rencontré son public. Je me rappelle notamment un récit très descriptif écrit dans une prose surannée, Après la pluie, le soleil de @PouppiNC. Quand j'ai commencé à lire ce livre, il n'y avait pas de vues. Deux mois après, on en est à 1,8k. Ce serait la preuve qu'il n'est aucun besoin de se soumettre à des recettes prétendues « infaillibles » pour conquérir son public. Wattpad est loin d'être le temple de la chickenlitt normalisée que certains journalistes ont cru bon de décrire, sans doute parce qu'ils n'ont pas pris le temps de réellement lire les histoires qui y sont proposées.

Après un prologue où nous est présenté le personnage d'Eliott qui intègre l'École d'art d'Émeraude, nous sommes plongés au cœur de cette vénérable institution où notre héros fait la connaissance d'une dénommée Camille. Ç'aurait pu être une école dysfonctionnelle comme on le voit parfois, avec des profs sadiques, des cours de magie noire, des recoins secrets et des trappes d'où surgissent des êtres maléfiques. Mais l'autrice semble avoir pris le parti de décrire une vraie école d'art, pas un succédané.

La caractéristique essentielle de ce texte est le degré de maîtrise de la langue. L'écrivaine s'appuie sur sa capacité à concevoir des images et sur une indéniable richesse lexicale pour mettre en place son univers. Les dialogues sont denses, les personnages se lancent immédiatement dans des discussions très pointues et des réflexions approfondies. A priori, ce n'est pas forcément le meilleur parti à adopter si l'on veut attirer des lecteurs. Mais le récit semble rencontrer d'ores et déjà un vif succès, — ainsi, du reste, que les autres productions de cette wattpadienne récemment inscrite.

Dans le 3e chapitre nous est relaté un cours d'arts plastiques. Il s'agit moins pour l'autrice de nous en raconter le déroulement que de montrer les rivalités qui commencent à s'installer entre les élèves.

On se prend à imaginer quelle tournure va prendre cette histoire. Notre écrivaine en herbe va devoir relever un défi de taille : mettre en place un univers très visuel. Les romans, a priori, se prêtent assez peu à cet exercice. Les auteurs qui se sont essayés à représenter des peintres (je pense à Zola dans l'Œuvre mais aussi à Mon nom est Rouge d'Orhan Pamuk) sont souvent écartelés entre la nécessité d'utiliser un vocabulaire technique (il est important que les scènes où les personnages dessinent ou peignent puissent réellement parler à l'imagination du lecteur) et la crainte de ne pas être compris s'ils se montrent trop précis dans la description du processus de création.

C'est donc un roman à suivre que la Symphonie des cœurs, notamment en raison des difficultés que ne tardera pas à rencontrer l'autrice. Mais gageons qu'elle est déjà suffisamment outillée pour les relever avec maestria !