L'amitié entre filles et garçons, est-ce possible ? Certains (essentiellement des hommes) s'obstinent à croire que non. Mais nous sommes à une époque qui s'attache à répertorier les cas de figure les plus divers (et parfois les plus incongrus) : couple asexuel, amitié pure et sans mélange mais aussi le phénomène récent des sexfriends (où l'on fait le pari qu'il est possible d'avoir une relation dénuée de sentiments...).
Si la montée en flèche des sites de rencontres favorise une forme de consumérisme dénué d'âme, on peut noter également un retour (timide, certes) à d'autres formes de vivre-ensemble que les liens purement physiques.
La wattoscopie, c'est la petite escapade sur Wattpad, un moment privilégié où l'on se fait plaisir avec des nouveautés de qualité qui gagnent à être connues !
Avec cette nouvelle wattoscopie, nous ne quitterons pas l'univers estudiantin dont il était déjà question dans Malgré elle de bakasenji.
« Rien de nouveau sous le soleil », disait le critique littéraire Angelo Rinaldi. Il avait le sentiment que les écrivains, désormais, étaient condamnés à se répéter.
Deux raisons à cela, estimait-il. Tout d'abord, aucune nouveauté ne peut rivaliser avec une époque (en gros, l'Antiquité grecque) où la littérature n'en était qu'à ses balbutiements... Sous le soleil d'Olympie, tout était encore à inventer. Maintenant, on ne fait plus que recopier, et en moins bien.
Ensuite, les auteurs modernes se recopient entre eux.
Tu t'es trompé Angelo ! a-t-on envie de lui répliquer. La littérature parle de la réalité et la réalité du XXIe siècle n'est pas celle de l'Antiquité. En outre, nos deux autrices ne se recopient pas. Ce sont deux histoires totalement différentes. À sa manière, chacune cherche à renouveler le genre du campus novel. Dans Je t'aime beaucoup, on est à mi-chemin entre le campus novel, le Bildungsroman (ou roman d'apprentissage) et la romance.
« Marre des bad boys aux États-Unis ? nous demande l'autrice tout de go dans la Description de son histoire.
— Oui, bien sûr ! » lui répondront ceux qui ont conçu une indigestion des histoires de bad boys. Nous avons tous lu ces fictions où une fille passive, fascinée par un mauvais garçon, attend qu'il veuille bien poser un regard sur elle et la maltraiter après en avoir maltraité une autre (et ainsi de suite...).
Ce n'est donc pas de refus de lire une histoire réaliste qui tente de sortir des sentiers battus de la romance young adult.
Soit Louise et Alexis qui ont fait connaissance au collège Sainte-Louise de Paris (dans le Prologue, excellent dialogue entre une prof pète-sec et ces deux élèves qui ne se laissent pas impressionner). Ils deviennent les meilleurs amis du monde.
Au moment où débute le récit, ils sont en collocation. Elle a obtenu son hypokhâgne et sa khâgne. Elle a intégré Normale sup, le saint des saints. Et elle a le sentiment d'être dépassée pour la 1re fois de sa scolarité... Après avoir erré pendant deux ans, Alexis, quant à lui, fait une fac d'arts plastiques.
La cohabitation se passe très bien. Mais le jeune homme commence à éprouver du désir pour son amie... Un flash-back nous apprend qu'ils ont déjà échangé un baiser à l'initiative d'Alexis, mais ils n'étaient pas dans leur état normal et ce fut sans lendemain...
Le sujet est finalement assez peu abordé en littérature : dans les romans, s'il est question de sentiments, c'est d'abord et avant tout de sentiments amoureux. La passion tragique, les amours contrariées, le donjuanisme ténébreux et, plus près de nous, les jeunes filles qui développent un syndrome de Stockholm (à moins que l'héroïne, une vraie badass, ne souhaite manifester sa dark feminine energy et attende qu'un mâle alpha parvienne à la dompter) constituent le tissu ordinaire de beaucoup de fictions.
Tout ce qui sort du cadre est certes moins intense mais c'est peut-être dans ces relations dépassionnées et désexualisées que se manifeste ce que Shakespeare appelle le lait de la tendresse humaine. On pense à l'amitié fille-garçon (à condition qu'on veuille bien croire en sa possibilité) et de manière générale aux liens de toute sorte, — l'éventail des possibilités est absolument infini et excède largement les ébats charnels. Problème, et non des moindres : c'est moins spectaculaire qu'une histoire d'amour. Raison pour laquelle l'amour torride est hyper-représenté dans la littérature et au cinéma.
Il ne nous viendrait pas à l'idée, bien sûr, d'interdire à MlleMonteCristo de transformer cette amitié en passion amoureuse ! Après tout, il est intéressant d'étudier comment va évoluer cette relation apaisée si Alexis commence à éprouver du désir et si Louise n'en éprouve aucun... Lui sera-t-il possible de faire taire ses sentiments si c'est le prix à payer pour rester proche de Louise ?
L'autrice nous décrit l'univers festif estudiantin. Un bar où nos deux héros se joignent à des musicos. Une soirée étudiante à l'initiative de Laetitia, une pick-me-girl. Occasion pour notre écrivaine de décrire des personnages en nombre qui se mêlent et s'entremêlent. Elle y parvient plutôt bien.
2e observation : de nombreux flashbacks viennent entrecouper le récit (dont le fameux flashback du baiser). La linéarité chronologique est rompue à plusieurs reprises. Il en résulte parfois un léger brouillage. Mais là encore, on constate que l'autrice se montre plutôt habile dans l'entremêlement (presque constant...) des époques. Attention toutefois : si l'on me pardonne cette métaphore bancale, jongler avec les strates temporelles relève tout de même du funambulisme...
Enfin, notre romancière s'emploie à introduire assez vite des personnages secondaires hauts en couleurs. Par exemple, l'excellent Léo (je vais éviter d'en dire du mal parce qu'elle semble très attachée à ce personnage, — en vrai, ce garçon m'est plutôt sympathique !).
Il y a également Gaspard Beaudin qui a immédiatement suscité mon intérêt (j'ai en effet une prédilection pour les personnages de connards). Son opinion sur la littérature féminine se résume à cette sentence définitive :
« " Oh là là je l'aime ! ˮ dit-il d'une voix suraiguë, " Non je l'aime pas ! ˮ : c'est tout ce qu'une fille peut écrire, nan ? »
Louise et lui ont en effet pour ambition de devenir écrivains et il estime que les femmes ne savent pondre que des romans de gare : l'affrontement entre ces deux personnages s'annonce tout à fait savoureux. Si l'autrice prend la peine de nous exposer les projets littéraires de son héroïne, nous aurons alors, très probablement, une mise en abyme.
Mais je m'avance un peu trop. Quoi qu'il en soit, la multiplication des personnages à laquelle on assiste dans les derniers chapitres publiés n'est pas du tout un problème : le récit au contraire gagne en profondeur. Il va sans dire que MlleMonteCristo, en faisant ce choix d'un grand nombre de protagonistes, va au-devant de grosses difficultés techniques : mais nous faisons le pari qu'elle parviendra à les résoudre.
Je t'aime beaucoup : un roman à suivre. Tout est dans le beaucoup. Aimer beaucoup, est-ce moins aimer qu'aimer tout court ?
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Wattoscopies
RandomJe vous fais part de mes découvertes sur Wattpad où se trouvent beaucoup d'auteurs talentueux, on ne le dit pas assez.