CHAPITRE VINGT-UN : BALADE EN VOITURE

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Gabrielle

Dimanche 08 Janvier

Je retrouve Eden, appuyé nonchalamment sur le capot de sa voiture. La capuche de son sweat sur sa tête et une cigarette en bouche. Il a les mains dans les poches et me toise.

- J'espère que tu es heureuse d'avoir assouvi ta curiosité maladive.

Je ressens sa fureur. Par sa voix grave et profonde, sa posture négligée, mais courroucée. Je sens qu'il va me le faire payer. Il va me faire payer sa propre frustration. Et je ne vais pas me laisser faire.

- Je ne me suis pas invitée à dîner chez toi.

- Peut-être, mais tu n'as pas refusé.

- Je ne pouvais pas ! M'exclamais-je d'une voix plus forte. Comme si, être à l'extérieur me libérer d'un poids. Comme si, enfin je pouvais m'exprimer librement après un trop long temps bridé.

- Non bien sûr que tu ne pouvais pas ! Lui aussi hausse le ton et se lève de sa voiture pour s'approcher de moi. Tu ne pouvais pas. Parce que tu es la pauvre petite Gabrielle fragile, la petite fille sage qui fait tout comme on lui dit. La première de la classe assise au premier rang qui lève la main sans cesse, il crache sa haine envers moi. Comme si j'étais responsable de tous ses maux. Et j'encaisse ses attaques, les unes après les autres. Sans faiblir. Sans broncher. Alors qu'il est maintenant à deux centimètres de moi. La petite miss parfaite. Qui n'a jamais été punie, jamais collée, jamais renvoyée, ne s'est jamais battue, jamais insultée, jamais bousculée, ni même penser du mal d'autrui. Petite miss parfaite.

Sa voix n'est qu'un murmure dans le silence du soir. Un murmure qui me lancine et m'accable un peu plus. Il est si acerbe, si amère. Il ne maîtrise pas son courroux et me balance tout à la figure.

- J'ai pensé du mal de toi, je parviens à dire en ayant l'air sûr de moi.

Il rigole, il rit à gorge déployée, ça résonne dans le quartier et ça me frustre.

- J'imagine que je suis la seule personne à avoir eu cette chance.

Il me scrute à travers ses cheveux trop longs aplatis par la capuche. Il a le regard fou. Il me fait peur. Je crains ce qu'il pourrait faire de moi quand il est dans cet état. Lui qui contrôle tout d'habitude.

- Je le méritais non ? Il fait un geste de la tête, comme pour demander mon approbation. Je ne bouge pas. Je le mérite.

Sa correction me surprend. Et je ne vais sûrement pas le contredire.

- Tu penses toujours du mal de moi, mon ange ?

Il étend ses doigts vers mon visage. Et cette vilaine habitude qu'il prend me dérange. Je dégage immédiatement sa main d'un geste furtif.

- Toujours, je réponds en serrant les dents.

Il me lorgne toutes dents dehors, sa joue creusée. Il a toujours la main suspendue dans les aires et la repose doucement contre son flanc.

- Je rêve souvent de t'étriper, de t'étrangler. Ou bien que tu te fasses écraser par un bus. Je rêve de t'arracher ce foutu sourire que t'as tout le temps. Comme si tout ce que je disais ou faisais était drôle, il sourit d'autant plus. Je rêve de ton malheur, de ta souffrance. Je rêve de te voir rater ta vie et vivre malheureux pour toujours.

Je mens. Je mens. Je mens.

Je ne pense pas à tout ça. Enfin, je ne le pense pas vraiment. Je ne rêve pas de son malheur et de le voir rater sa vie. Je rêve simplement qu'il disparaisse de la mienne et continue à vivre comme bon lui semble de son côté. Je ne peux pas souhaiter autre chose. Parce que le simple fait de le savoir chagriné par la mort de ses parents me foudroie. Je ne peux pas lui souhaiter plus de malheur qui ne l'accable déjà.

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