23 - Phoebe : Lost without you

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— Toujours rien ? me demande Éléonore, occupée à nettoyer les verres au comptoir du Shelter.

— Non, rien, je soupire, guettant mon téléphone avec insistance.

Je sais pourtant qu'il ne m'écrira pas. Il est aussi buté que je le suis.

Assise à l'une des tables du bar d'Ana, je tente d'oublier ma rancœur et ma frustration en bossant sur mes cours. Inutile de préciser que cela ne fonctionne pas. Les feuilles étalées devant moi paraissent avoir été écrites dans une autre langue, et je commence petit à petit à me décourager. Mon cerveau semble déterminé à rejouer la scène de notre dispute. Je vais finir par en avoir mal à la tête.

— Ça fait deux jours. Il exagère, rouspète Cora, un plateau rempli de verres entre les mains.

J'esquisse un sourire agacé, sans lever les yeux de mon manuel.

— Ce n'est pas toujours à toi de faire le premier pas, grand Dieu, ajoute ma meilleure amie.

D'un geste expert, mais énervé, elle dépose le contenu de sa commande sur la table de ses clients, qui l'observent d'un air surpris. Les verres claquent contre le bois de la table, et l'un d'eux manque de se renverser, si le père de famille ne l'avait pas stabilisé in extremis. Cora ne lui adresse pas un sourire, et finit par s'assoir en face de moi, sans égard pour ceux qui attendent encore leurs boissons. Je lui dirais bien de s'en occuper et de se concentrer sur son travail, mais une partie de moi est reconnaissante d'avoir l'attention de mes amies.

Je ne suis qu'une bombe à retardement. Deux jours se sont écoulés depuis que Connor et moi nous sommes disputés, et depuis, je n'ai aucune nouvelle. Il n'est pas venu à nos derniers feux de camp ni à notre sortie plage de la veille, prétextant devoir s'entrainer. Je refuse de me ridiculiser une fois de plus en m'excusant la première. Il ne peut pas constamment me reprocher de m'être concentrée sur mes études sans conséquences. Il doit se rendre compte que sa rancœur est absurde, et se remettre en question. Son comportement de ces deux dernières années n'est pas exemplaire non plus, que je sache, ruminé-je.

Et pourtant... je ne peux m'empêcher d'avoir envie de pleurer. La culpabilité me tord l'estomac. « On n'a pas tous le luxe de s'arrêter de vivre et de demander de l'argent à Papa. » Comment ai-je pu lui dire une chose pareille ? En une unique phrase, je lui ai reproché tout ce pour quoi il se déteste : sa relation conflictuelle avec son père, sa situation étudiante et professionnelle désastreuse, sa vie menée au crochet de ses parents, son mauvais caractère et ses tendances d'enfant unique, son deuil chaotique... alors même que je sais qu'il culpabilise, qu'il se torture déjà assez à cause de tout ça. J'ai dégainé ma flèche en visant une plaie ouverte.

Oh mon dieu, est-ce que j'ai perdu mon meilleur ami pour de bon ? Me chuchote une petite voix. Des pensées irrationnelles surgissent dans ma tête, et je ne peux retenir un sanglot.

Immédiatement, les yeux de Cora s'agrandissent et elle me prend les mains.

— Ah non ! Pas de larmes, m'exhorte-t-elle. Les femmes indépendantes comme toi ne pleurent pas pour un garçon. Elles pleurent pour leur diplôme, pour leur dressing, pour un voyage entre filles à Ibiza qui tombe à l'eau, mais pas pour un garçon.

Un sourire se dessine sur mes lèvres, sachant très bien qu'elle essaye de me remonter le moral, mais les larmes sont têtues, et elles montent quand même. Éléonore lui adresse une œillade désabusée, l'air de dire : « sérieusement ? », et se rapproche pour me prendre dans ses bras.

— Et si je n'ai plus envie d'être indépendante, de vivre seule ? Et si je venais purement et simplement de ruiner mes chances avec...

Je m'arrête, et lâche un ricanement qui n'a rien de joyeux.

Follow your fireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant