17- Pomme et citrouille

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Le lendemain matin, au cours de potions, tous les bavardages tournaient autour de Daphné. Malgré leurs efforts, aucun professeur n'était parvenu à la réveiller et elle avait été transportée au centre de soin le plus proche. Fly était revenu en cours, des poches bleues sous les yeux témoignant que sa nuit avait été écourtée. Rien de plus logique : sa petite amie reposait entre la vie et la mort.

— Bien, débuta Robyne de son  éternelle bonne humeur, j'espère que vous allez bien, et que vous vous êtes reposés hier, parce que nous commençons la semaine avec la création d'une potion de vérité. Mais avant, sortez tous vos rapports et les potions que je vous ai confiés.

Si Roxanne n'eut qu'un bout de papier à sortir, Myrtille présenta la potion et son rapport qui semblait avoir été rédigé pendant la nuit— à la bibliothèque en compagnie d'un fae très attentionné. Les deux amies étaient finalement parvenues à percer le mystère qui entourait leur fiole et elle comprenait sans mal pourquoi elles avaient tant ramé. Robyne leur avait confié une fiole d'eau colorée. Sans magie, ni dons. Cela dit, rien n'avait empêché la fée studieuse de rédiger un long écrit sur les propriété de l'eau...et ceux plus néfastes du colorant.

— Mademoiselle, intervint Jasmine qui comme la moitié des élèves rendait copie blanche, votre potion n'existe pas. Avec Milo, nous avons fouillé tous les livres de la bibliothèque... et rien. Nous avons même essayé de la rependre sur le bois, l'acier, et sur nos ailes. Rien !

Sans compatir à sa plainte, Robyne ramassa la potion d'une robe orangée à moitié vide, et la plaça sous la lueur du lustre, à la vue de tous.

— Vous avez pris un grand risque en l'appliquant sur vos ailes. J'espère que vous ne ferez pas de même avec la potion d'aujourd'hui. Une chance pour vous, celle-ci n'était que du jus de citrouille. Un liquide rare...et très difficile à trouver en automne, j'en conviens, railla-t-elle tandis que Milo et Jasmine se dévisagèrent, abasourdis.

Reggie et Lilas, sa voisine de classe, empoignèrent à leur tour leur potion d'un doré mielleux.

— Et nous, ne me dites pas que...

— Du jus de pomme auquel j'ai ajouté quelques paillettes comestibles pour faire joli. Goutez, vous verrez, c'est délicieux.

Ni l'un, ni l'autre ne tenta l'expérience et l'enseignante poursuivit sa collecte au rapport. Certains, comme Harold avait rédigé quelques notes au sujet d'un breuvage miracle qui effacerait les blessures. En réalité, on lui avait servi du thé glacé à la rose.

— Et toi, Peterfly ? —Robyne avait pris l'habitude de le tutoyer au même titre que ses camarades, sans doute pour le ménager un peu— Rien à me rendre ?

Le nez entre ses bras, le prince tendit une feuille usée, écrite de sa main sans une remarque. Comme Myrtille et Roxanne , il n'était pas tombé dans le piège;  pourtant, il déprimait depuis ce matin.

Robyne s'agenouilla devant lui, et s'accouda à sa table.

— Si c'est pour Daphné que tu t'inquiètes, nous avons déjà reçu des nouvelles : elle est guérie et reviendra en cours dès la semaine prochaine. A priori, ce n'était qu'une vilaine allergie.

— Je sais, marmonna Fly sans lui accorder un regard...

Personne n'insista et Roxanne passa les minutes suivantes à guetter les réactions de son voisin de table.

Après un court laïus, radotant qu'il ne fallait jamais exclure aucune piste, Robyne démarra enfin son cours. Le philtre de vérité était un classique de la sorcellerie et si la majorité des fées ignorait comment le réaliser, la rouquine aurait pu remplacer sa professeure favorite.

—Mettez-vous par deux, avec vos voisins de table et ouvrez vos manuels page 13. Ensuite, venez chercher les ingrédients dans les étagères à votre droite.

Très vite, tous les élèves se mirent à grouiller près des meubles de bois pour attraper de l'huile bleue, des écailles de salamandre et des plumes de pégases. Il ne manquait plus que les feuilles d'un chêne centenaire que Robyne distribua à chacun en vérifiant qu'aucun ne s'était trompé.

— Fly, tu peux aider ta camarade, s'il te plait ? demanda cette dernière tandis que le prince restait hagard, affalé sur sa table.

Il ne répondit pas, pas même par une protestation. Lorsqu'il releva les yeux vers son interlocutrice, Roxanne s'aperçut qu'un voile brillait dans ses yeux améthystes. Elle ne comprenait pas : Daphné était tirée d'affaire, qu'est-ce qui l'attristait autant ?

— Tu es autorisé à quitter le cours, soupira la professeure. Va te reposer dans ton dortoir. Si tu as besoin d'en parler, je suis dans cette salle jusqu'au crépuscule.

Il acquiesça, balança son sac vide par-dessus son épaule et sortit en silence de la salle de cours sous le regard intrigué de ses amis. Lilas se proposa de l'accompagner à l'infirmerie mais il refusa avec véhémence et s'enfuit à tir d'ailes.

Vexée, la fée se rassit à sa paillasse. D'habitude, le prince s'entendait plutôt bien avec les autres fées de la classe, pour peu qu'elles ne défendent pas les sorcières. Aujourd'hui, c'était comme si le moindre contact l'effrayait. Roxanne s'interrogea : devait-elle prévenir la reine des fées ? Elle ne s'en sentait pas légitime, toutefois elle savait exactement où écrire une missive à son attention. Et sa Majesté avait promis de ne pas prendre ses lettres à la légère.

Ce n'était peut-être qu'une promesse en l'air pour éduquer son fils...réfléchit-elle en broyant les feuilles à l'aide d'un pilon.

Elle avait brisé les écailles en miettes, et versé un peu d'eau dans un bol. La cuisson demandait de la minutie : trop cuite, la mixture devenait un poison, pas assez, elle perdait ses facultés. Les flammes fleurirent sous la friction d'une allumette et déjà de petites bulles s'éparpillaient à la surface du mini chaudron. Dans son dos, la sorcière entendit Lilas pester :

— Allez du nerf Reggie ! Plus vite on aura fini, plus vite on pourra retrouver Fly et lui tirer les vers du nez.

Roxanne rectifia ses plans. Peut-être que Lilas, Harold ou Milo lui apporteraient plus de soutien qu'elle. Après tout, ils lâchaient peu Fly de l'aile sans jamais subir ses colères. Sa potion prête, elle éteignit le feu et remplit immédiatement un flacon de sa mixture. Elle le boucha. A l'air libre, le philtre risquait de pourrir, comme une pomme laissée trop longtemps sur l'arbre. Elle appela la professeure qui la félicita pour son efficacité puis quitta le cours, le prince n'ayant jamais quitté ses pensées.

Fly, Fly, Fly. Elle ne pouvait s'empêcher de songer à son étrange apitoiement,  avant de se souvenir de son comportement abject des premières semaines. Oui, il ne méritait pas qu'on se soucie de lui. C'était un enfant prétentieux, imbus de lui-même, pourri gâté et insolent. Il avait des serviteurs, une famille noble et aimante, des amis autant intéressés par son rang que par son ignoble personne. S'il rencontrait un problème, quelqu'un le résoudrait dans la minute qui suivait ses plaintes.

Roxanne n'avait pas à lui porter secours et elle ne le ferait pas.

Elle hâta le pas, décida qu'elle prendrait de l'avance dans le cours de défense de madame Elira, regagna sa chambre et...laissa tomber son sac au sol, le souffle court.

Fly était assis sur son propre lit, sans gêne. Elle voulut crier mais elle n'osa pas, trop hébétée d'une telle impolitesse. Non, se corrigea-t-elle, ce n'est pour ça que tu t'es tue.

Sa colère s'était dissipée, nettoyée par les sillons de larmes du garçon qui lui demanda d'une voix chancelante :

— Je peux rester ici...s'il te plait ?

Orange Mandarine Où les histoires vivent. Découvrez maintenant