26-Les trois ours (2/3)

106 17 166
                                    

Austin revint deux minutes plus tard, affublé d'une pince  coupante et d'une étrange tige de fer. Si elle ne lui faisait pas confiance, la princesse aurait pu croire que son intention première était de lui trancher le pied. Il s'accroupit, tira sur sa cheville foulée,  de manière un peu brusque ce qui lui tira une grimace, puis il commença sa besogne. Austin maniait les outils aussi bien qu'il étudiait : avec un sérieux exemplaire. C'est pourquoi, au bout de quelques secondes, Neige fut libérée de sa tortionnaire d'écorce.

La pince d'Austin, qu'il avait reposée près d'elle, rouillait d'un éclat bleuté sous la lueur ambre du soleil d'automne.  La douleur s'atténua un moment, avant de reprendre violemment le dessus lorsque la jeune fée tenta de remuer le pied.

— Doucement, lui souffla son ami. Il vaut mieux que je te porte pour ne pas que ça s'infecte.

Sans la laisser répondre, il la fit décoller du sol, la lovant contre son haut tricoté plus soyeux encore que le pelage d'un mouton. Or, en tendant le genou pour se mettre à l'aise, Neige laissa échapper un cri d'effroi.

Sa cheville était en sang. Nauséeuse, elle prit une aspiration. Deux, trois. Ne t'évanouis pas Neige. Elle inhala de plus belle et se cacha les yeux. Près du tronc d'arbre, fendu dans sa longueur, un instrument de métal gisait dans les herbes brunes. Une gueule dont les crocs sanglants luisaient encore, et d'où goutaient d'écœurantes perles bleu marine, presque noires. Était-ce cette horreur qui avait broyé son pied ?

— J'ai horreur du sang, murmura-t-elle d'une toute petite voix qu'Austin n'entendit pas.

Pour être plus précise, la vue de son sang la terrifiait, et lui retournait l'estomac. En revanche, lorsqu'un agneau, une panthère des neiges ou un sémiale venait frapper à sa porte tout ensanglanté, la princesse ne rechignait jamais à le secourir. Les sorts pour panser des plaies se comptaient par dizaines, mais Neige tremblait tant qu'elle craignait d'aggraver ses blessures. 

Soudain, une liane que la princesse espérait stérile s'y enroula et une apaisante fraicheur calma ses angoisses. Elle releva la tête vers Austin, il lui adressa un charmant sourire. Le temps sembla s'arrêter, couvrant la brise de l'automne qui emmenait des feuilles tourbillonner autour d'eux. Rien ne compta plus que les yeux bruns du bibliothécaire qui scintillaient du plus bel éclat, et ce, même lorsqu'il entrouvrit les lèvres, l'air plus grave que jamais.

— Écoute, Neige, concernant notre discussion de la dernière fois, je...

— Austin, qu'est-ce que tu fais encore dehors ! Et qui est cette demoiselle que tu tiens dans tes bras ? grogna une voix depuis la chaumière.

Elle venait d'un vieux fae aux ailes rabougries et à la démarche bringuebalante. Il se tenait sur une canne qu'il claquait contre la terre pour témoigner son impatience.

— Mais ne reste pas planté là ! Ramène-la à l'intérieur. Pauvre petite, tu veux qu'elle attrape une maladie ? Et ton sens de la galanterie ?

Quelque peu honteux, le jeune homme se remit en marche, en balbutiant un « J'arrive grand-père », qui n'apaisa toutefois pas l'humeur du vieillard. En quelques enjambées, Neige se retrouva au pied d'une cheminée, dont le foyer ardent réchauffa ses ailes. Austin l'avait déposée sur le grand tapis, au plus grand dam de son aïeul qui répétait qu'on ne devait jamais —au grand jamais — traiter une invitée de la sorte.

— Comment mon fils t'a-t-il élevé, bon sang ? Ou bien est-ce cette école de bourges qui t'est montée à la tête ? J'avais pourtant prévenu ton père que ce lieu ne ferait qu'écraser ta brillante cervelle et...

— Grand-père, Myrtille a d'abord besoin de soin. De soin et de la chaleur de l'âtre. On s'occupera du reste après. D'accord ?

Bien que grincheux, l'homme ne protesta pas. Il prit place sur un fauteuil à bascule à quelques mètres de la jeune princesse et étala une longue couverture brune sur ses jambes qu'un pantalon usé ne réchauffait pas.

Orange Mandarine Où les histoires vivent. Découvrez maintenant