— C'est à cause d'elle si je suis ici. Si je suis seul. C'est à cause d'elle si les sorcières sont traitées comme des moins que rien. Catherine en était une . Grâce à notre mariage, elle a pu travailler vingt ans dans le royaume des fées, au sein d'un grand atelier de couture . Ah elle faisait des merveilles, ma Cathy, sans commettre d'erreurs, toujours vive et gracieuse. Quand elle fut trop vieille pour manier le métier à tisser, elle dut quitter son travail. Et deux semaines plus tard, par décret royal, nous fumes chassés du royaume. Nous avons essayé de lui parler mais cette harpie n'a jamais lu aucune de nos lettres. Elle n'a pas levé le petit doigt non plus pour vaincre la maladie de ma femme. Et lorsque nous nous sommes présentés devant son château, elle nous a rejetés. Nous étions des insectes à ces yeux, alors croyez-moi : elle ne bougera pas le petit doigt pour vous ou Austin ! Vous sortirez de cette école les mains vides, quand tous vos camarades occuperont la place de leur choix.
Austin esquissa un léger mouvement de recul et Neige resserra sa couverture autour de ses épaules. Elle ignorait pourquoi sa mère avait agi de la sorte, mais elle savait que les sorcières n'avaient jamais été très bien perçues par la petite noblesse ou la bourgeoisie. Des rumeurs, des légendes morbides à base de citrouilles pourries, de chats porte-malheur et de poisons dangereux circulaient à leur sujet. Se pourrait-il que sa génitrice y ait cru elle aussi le temps de quelques années ?
— Je...je ne savais pas, admit-elle d'une petite voix.
Le grand père d'Austin renifla de dédain.
— Bien sur que vous ne saviez pas. Elle contrôle le royaume. Comment voulez vous que son véritable visage apparaisse dans le moindre journal ? Non, tant que cette mégère, ou sa progéniture, siègera sur le trône, les choses ne changeront pas.
Cette fois-ci, Neige ne put contenir son indignation. Qu'il blâme la reine était une chose, mais s'en prendre à sa fratrie pouvait la faire sortir de ses gonds.
— Vous avez tort.
—Pardon ?
— Vous avez tort. Dans plusieurs années, Austin et moi serons à notre place. Parce que le royaume aura changé, parce que la royauté n'érigera plus aucun mur, parce que je ferai tout pour réparer les erreurs de ma...de la noblesse. Nous travaillerons dans la capitale ou au palais et plus aucune sorcière ne se sentira inférieure. Vous n'êtes pas sortis depuis des lunes, mais les choses s'améliorent déjà : aujourd'hui, de nombreuses sorcières traversent chaque jour la frontière entre nos deux pays, certaines travaillent même au sein du palais royal et les écoles féériques sont sur le point d'ouvrir pour tous. Faites-moi confiance !
Alors qu'elle craignit que le vieillard n'hausse encore le ton comme un vieil ours tiré de son sommeil , son expression s'adoucit. Il échangea alors un regard entendu avec son petit fils.
— Ah la jeunesse, vous avez encore beaucoup de choses à apprendre mais je suis content qu'Austin ait trouvé une amie comme vous, fit-il savoir et Neige rougit jusqu'aux oreilles.
Soudain l'horloge gravée d'un coucou de bois sonna seize heures, ce qui fit bondir le cœur de la jeune princesse.
— Les professeures vont nous tuer ! s'épouvanta-t-elle.
Ni une, ni deux, elle attrapa le manteau qu'Austin tenait encore dans ses bras, salua son hôte, le remercia et sortit de la chaumière à toute hâte. A l'extérieur, sa cheville la lança, ce qui eut au moins le mérite de la forcer à ralentir le rythme. Dans son dos, son ami trottina.
— Attends-moi ! Le point de rendez-vous n'est qu'à cinq minutes d'ici. A part madame Gorgias, personne ne remarquera notre retard.
Elle glissa ses mains dans ses poches, —ou plutôt dans celles d'un manteau qui ne lui appartenait pas— des feuilles craquèrent sous ses pieds tandis qu'il la rejoignit.
— Mademoiselle Clair-de-bois est au courant : elle a justement choisi ce point de rendez-vous pour que je puisse passer le plus de temps possible avec mon grand-père. Je ne le vois presque jamais...Alors cette sortie était l'occasion.
Il baissa la tête et fixa ses doigts d'un air pensif.
— Oh je...j'espère que je n'ai rien gâché.
— Oh non, pas du tout ! rectifia-t-il en relevant le regard vers elle. C'est moi qui devrait m'excuser. Grand père est quelqu'un de bien, mais il a parfois des avis très tranchés. C'est difficile de le contredire. Ma grand-mère...est morte à cause de la peste bleue. Elle aurait pu survivre si une fée guérisseuse avait été là pour la soigner, du moins c'est ce que grand-père pense.
— Je suis désolée pour ta grand –mère. Et pour ce que ma mère...
—Ne t'excuse pas. Tu n'y es pour rien, et puis, tu l'as dit toi même : les choses sont sur le point d'évoluer.
Ils arrivèrent au chalet lorsque les premières larmes de pluie noyèrent le sol. Les professeures n'étaient pas revenues, ni elles, ni Fly et Roxanne. Inquiète, Neige espérait qu'ils étaient au moins ensemble, ce que leurs camarades de classe étaient venus leur confirmer : Milo, Elys et Harold les avaient aperçus grimper sur un arbre, quelques mètres plus loin. Quel crétin ! songea-t-elle en maudissant son frère. Non seulement, il se permettait de partir sans prévenir mais en plus, il risquait de se rompre le cou en quête de sensation forte. Idiot, idiot, idiot ! Pourquoi s'était-elle inquiétée pour lui ? Pourquoi quiconque s'inquiétait pour lui alors que monsieur le prince était incapable de rester assis sur un banc ?!
Fly, tu vas me faire devenir folle !
L'orage gronda, étouffant sa colère et le torrent qui s'abattit sur ses ailes fragiles l'obligea à se réfugier, comme ses camarades, sous un préau de bois. Elle s'assit, épuisé aux côtés d'Austin qui jouait avec les lacets de son sac en écorce et tissu brun.
— Ils vont revenir, ne t'en fais pas.
— Je sais. Il me fatigue, c'est tout.
Toutefois, la princesse essaya de distinguer derrière le rideau d'eau une frimousse rousse ou blanche qui grelottait de froid. Après quelques essais infructueux, elle détourna le regard.
— Au fait, Austin, tu ne m'as jamais raconté ta rentrée dans cette école : est ce que les élèves te traitaient...différemment ?
Il marqua un temps avant de répondre, étonné par la question.
— La première année, oui. Personne n'était vraiment mauvais mais...ils préféraient rester entre eux, sans me compter dans leur groupe. Je n'étais pas de leur monde. C'est pour cette raison que j'ai voulu accueillir Roxanne à son arrivée : elle me faisait penser à moi. Enfin, jusqu'à ce que je comprenne qu'elle avait déjà une super fée pour la soutenir.
Elle ne put s'empêcher de sourire.
— Je...hésita-t-il ensuite...Je t'aimais sincèrement, Neige.
C'était la seconde fois qu'il l'appelait par son prénom, et même s'il l'avait murmuré pour éviter qu'il ne s'ébruite, la princesse sentit son cœur se pincer à cet aveu.
— Mais ce n'est plus le cas. C'est à cause de ton grand-père ?
Il secoua la tête.
— Je ne suis pas forcément d'accord avec tout ce qu'il raconte. Je sais que l'école n'est pas aussi sombre qu'il le pense. Seulement...C'est différent de tomber amoureux d'une princesse ou de la plus gentille fée du monde. J'aimerais dire que tu n'as pas changé à mes yeux mais...je ne peux pas ignorer le monde qui t'entoure. Je suis navré si je t'ai blessée.
Pourtant, Neige encaissa ses paroles sans mal. Contrairement à ce qu'elle croyait, elle s'y était déjà préparée. Mieux encore, elle se sentait soulagée que leur relation puisse être nommée. Elle lui avait menti : pour son bien, pour se protéger, pour être traitée comme les autres. Le regrettait-elle ? Non, elle n'avait pas eu le choix. Toutefois, maintenant qu'Austin le savait, elle avait gagné un allié. Un allié sincère, un ami qui garderait son secret et de premiers sentiments qu'elle n'oublierait pas.
Tant pis ! Elle retrouverait l'amour : un garçon gentil, féru d'animaux, romantique et prêt pour la vie royale l'attendait bien quelque part. Elle le pressentait.
— Je comprends, lui glissa -t-elle en laissant tomber sa tête contre son épaule.
L'écho de la pluie résonna, et lorsque Madame Gorgias revint trempée jusqu'aux ailes, elle décréta que la sortie avait pris fin.
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Orange Mandarine
FantasíaRoxanne est admise dans la plus prestigieuse académie du monde. Le problème ? C'est une école pour fées. Des fées qui la méprisent, des fées que la nature a gâtées en magie bien plus que les maladroites sorcières. Mais Roxanne ne se laisse pas abat...