Chapitre 20 - Mettre les voiles

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2 mai 2289 - base de Tavira

Cinq jours sont passés depuis l'incident avec Houlm et ma conversation avec K. Ce dernier a retenté deux fois de me contacter, mais je n'ai pas voulu répondre. J'étais trop perturbée par notre dernier échange et occupée à élaborer un plan. Jafro n'a pas évoqué le sujet de mon supposé espionnage dans la cuisine. Houlm m'évite soigneusement et verrouille son atelier chaque fois qu'iel en sort. Dommage, je devrais me contenter des photos que j'ai prises. Je passe quotidiennement dans la salle des couveuses pour repérer les lieux et poser quelques questions à Sayan. Ces jours-ci, le grand blond aux cheveux tressés est occupé à réaliser tout un tas de projections expérimentales afin de dégager les besoins et impératifs de chaque étape du processus in vitro. J'ai envie de vomir rien que d'y penser. J'analyse l'appareil qui fera office de placenta robotique. Une paroi en cellulose permettra à l'embryon de s'y accrocher afin d'établir la connexion avec la machine assurant l'alimentation. Les explications du selcyn sont fascinantes, je dois le reconnaître. Quand je lui parle du lien mère-enfant et du fait que les fœtus perçoivent des bribes de l'environnement extérieur, je me heurte à son scepticisme. Il m'assure pourtant qu'il se renseignera sur ce point.

Ce matin, Sayan a lâché son ordinateur holographique pour le microscope électronique. Il m'explique qu'il analyse le liquide amniotique de synthèse pour comparer un échantillon récent avec un autre créé trois mois auparavant, pour s'assurer de la stabilité de la formule. Purée de chiotte, ce type ne quitte jamais son labo !

Je file en salle de sport pour m'entraîner. Surprise : je ne suis pas seule. Deux de mes voisins, les préposés à la surveillance des radars, sont présents. Ils me regardent m'avancer jusqu'au sac de frappes sans prononcer un seul mot. Je choisis de les ignorer et commence à cogner. J'y mets tant d'ardeur que je ne vois pas l'un d'eux m'approcher. Quand il prend la parole, je pousse un cri de surprise.

— Je suis désolé de vous avoir effrayée, fait-il sans avoir l'air le moins du monde gêné. Nous vous regardons depuis tout à l'heure. Accepteriez-vous un combat sur le ring.

— Contre qui ? demandé-je, méfiante.

— Contre moi. Un entraînement en situation réelle.

J'ai envie de refuser, car je sens qu'il va me mettre une raclée. Et en même temps, j'ai besoin de me défouler et je ne veux pas avoir l'air d'une dégonflée devant ces deux-là (même s'ils s'en fichent probablement).

— OK, lui réponds-je en prenant ma voix la plus assurée. On part sur cinq fois trois minutes ? Sauf si KO ou immobilisation au sol. Et si on est tous les deux debout après ça, ton pote désignera le vainqueur.

— Bien. Pas de coup à l'entrejambe, interdiction d'agripper les cheveux ou les vêtements. Uniquement poings et pieds. Pas de blessures graves.

Encore heureux, il fallait vraiment le préciser ?

— C'est parti !

Il m'a fallu trente secondes pour comprendre que j'allais en baver, et la fin du deuxième round pour accepter l'idée que la victoire serait impossible. Ce n'est pas vraiment une surprise, je sais que les selcyns sont plus forts et plus rapides qu'un humain non modifié. Je me demande même si mon adversaire ne se retient pas pour faire durer le plaisir, le petit enfoiré. J'ai beau soigner mes enchaînements et parer efficacement ses attaques, il parvient toujours à me déstabiliser et je lutte pour ne pas finir au sol.

Le troisième round sonnera ma défaite. Épuisée, je ne parviens pas à esquiver son coup de pied et me retrouve déséquilibrée. Le selcyn n'a pas beaucoup à forcer pour me mettre à terre et m'immobiliser. Ses bras musclés m'enserrent fermement et je remarque que ce chien transpire à peine alors que je souffle comme un bœuf. La vie est injuste. Il finit par me lâcher et je crois voir un début de sourire sur ses fines lèvres. Il m'aide à me relever.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant