Chapitre 22 - Tour d'ivoire

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3 mai 2289 - base de Tavira

Mon sommeil est agité : j'alterne brefs moments d'éveil et trous noirs. La voix de Kalen m'annonce que je vais faire un tour sur le flaster, pour vérifier mes poumons. Je sens ses mains qui me déshabillent avant de me porter jusqu'à une couche inconfortable, puis une chaleur étrange qui s'empare de mes entrailles. Mes yeux papillonnent : je devine sa présence à mes côtés. J'essaye de me réveiller pour de bon, mais mon corps me paraît si lourd.

— Arrête de lutter, Chaton. Essaye de rester immobile. Le flaster te scanne. Il va très certainement prendre en charge ta blessure à la cheville. Elle n'est vraiment pas belle à voir.

Je voudrais lui répondre, lui dire que j'ai peur, que je me sens vulnérable, nue comme un ver, mais que je suis soulagée de le savoir près de moi. Un seul mot sort de ma bouche, presque imperceptible tant ma voix est cassée.

— Reste.

— Je n'ai pas l'intention de te laisser, Lyna. Je ne te quitte pas des yeux.

J'ai bien conscience de ne porter aucun vêtement, mais je suis trop mal pour me sentir gênée. La chaleur devient insupportable. J'agite mon bras pour trouver le sien. C'est finalement lui qui vient à moi et qui glisse ses doigts entre les miens. Je me calme enfin, avant de perdre à nouveau connaissance.

Une douleur aiguë à la cheville me réveille en sursaut. En quelques secondes, la succession des évènements des vingt-quatre dernières heures me revient. J'ouvre les yeux : je suis dans ma chambre. Le mur de verre a été opacifié, mais je comprends à la luminosité que le jour est bien levé. Je porte une sorte de shorty et (oh, miracle) une brassière. Je me concentre sur ma cheville : elle est entourée d'un plâtre, ou en tout cas d'un bandage rigide. On dirait bien que j'aurais le droit à d'autres séances de flas... purée de chiotte, quelque chose bouge à côté de moi ! Je me pousse si rapidement que la douleur m'irradie des cheveux jusqu'aux orteils. Je pousse un gémissement plaintif en réponse à ce supplice.

— Lyna ! s'écrie Kalen en se redressant.

— Purée, mais qu'est-ce que tu fais dans mon lit ! hurlé-je. Tu as fichu une peur bleue !

Je dévisage mon selcyn. Ses traits ensommeillés trahissent son réveil brutal. Ses cheveux sont en pagaille et il semble un peu affolé. Mais Dieu qu'il est sexy au saut du lit. Bon sang, je recommence ! Alors qu'il plonge ses iris noisette dans les miens, je le vois reprendre son expression neutre habituelle. Je me détourne, gênée de cette proximité. Je réalise alors que quelque chose est différent dans la pièce, sans mettre le doigt dessus. Je jette des coups d'œil inquiets autour de moi. K reprend la parole, coupant mes réflexions :

Une peur bleue ? Tiens, je ne la connaissais pas encore celle-là.

Je me racle la gorge, me recule légèrement, puis me décide à affronter à nouveau son regard.

— K ?

— Chaton. Je t'ai dit que je ne te quittais pas des yeux.

— Oui, ça me revient. Je... Tu... n'es pas furieux ?

Je cherche une ébauche d'émotion dans ses yeux. Qu'il est perturbant, à ne jamais rien laisser paraître (ou presque). Je ne sais jamais comment réagir avec lui. Alors je continue de le fixer, tout en essayant de comprendre cette drôle d'impression qui m'envahit, comme si les couleurs étaient plus vives autour de moi. Je ne pousse pas le questionnement plus loin, car, brusquement, les traits de K se déforment. À ma plus grande surprise, il laisse éclater sa colère sans plus aucune retenue. Je me recule davantage, mais pas par peur. J'oscille plutôt entre la fascination et la culpabilité. Bien sûr, je l'ai déçue. Pourquoi est-ce que ça m'affecte autant ?

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant