Chapitre 37 - Les bons comptes font les bons amis

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8 septembre 2289 - Cassy-7

Le ventre contracté par l'angoisse, je peine à rester concentrée sur les propos de Sayan. Ce dernier nous présente les remèdes selcyns dont nous aurons besoin si les blessés se mettent à affluer. Mais on ne refera pas Sayan ! Comme à son habitude, il est parti dans des explications alambiquées qu'il enchaîne d'un ton monocorde. Il pourrait enseigner à l'université, il a le profil. À côté de moi, Mei se balance sur sa chaise en somnolant. Les moteurs de Cassy-7 sont, sans surprise, aussi silencieux que ceux de Cassy-3, le vaisseau de Kalen.

Nous avons décollé pour l'Europe vers minuit, suivant Cassy-13 et Cassy-17. Les volontaires de Brasilia et ses alentours, soixante-treize terriens au total, ont été regroupés ici avec tous les engins militaires prêtés par le Maréchal. L'angoisse se mêlait à l'excitation quand ils ont embarqué cette nuit. Leurs yeux se posaient partout, avides d'en découvrir plus sur nos anciens ennemis. J'imagine sans mal que j'ai dû me comporter de la même manière quand j'ai arpenté les couloirs de Cassy-3 pour la première fois. Quel souvenir ! C'était il y a presque cinq mois, et pourtant, ça me paraît si loin ! Ce que je peux dire, c'est que le « pisse-debout » a fait son petit effet auprès des quarante-neuf femmes volontaires. Presque autant que les Borls transpirants présents dans la salle de sport. Non, en fait, ce n'est pas comparable. Une petite brune a failli défaillir en matant un selcyn en pleine séance de musculation, une autre s'est littéralement bavée dessus. Mei m'a obligée à concéder à voix haute que Nema avait raison. Sayan n'a pas eu l'air plus emballé que ça d'être officiellement un fantasme sur pattes. Il a haussé les épaules avec nonchalance en ignorant nos gentilles moqueries.

Cassy-7 sera le vaisseau le plus éloigné du cœur du conflit, tous les blessés y seront évacués, si leur état le permet. Kalen, quant à lui, est à bord de l'engin de tête : Cassy-17. Mon cœur a saigné quand nous nous sommes séparés ce matin. J'aurais voulu rester plus longtemps dans ses bras, respirer encore son odeur, faire l'amour avec lui une dernière fois. Ses lèvres frémissantes retenaient difficilement son émotion, même si ses mots étaient rassurants et optimistes. Il mènera l'attaque principale à bord des suppos dorés. Il fera face aux défenses aériennes du plus gros bâtiment spatial existant. J'en pleurerai s'il me restait des larmes, mais j'ai tout vidé ce matin, je suis à sec. Pour finir, les rebelles de Ranissa seront partagés entre les forces terrestres et les appuis aériens.

Je me reconcentre sur Sayan et son monologue. Je suis certaine qu'il n'a pas remarqué que nous ne l'écoutons que d'une oreille. Je regarde mon poignet. Autrefois, je portais une petite chaîne que m'avait offerte Saïd. Elle doit être restée sur Faraday-4, je ne la mettais plus depuis notre rupture. Ça fait longtemps que je n'ai pas pensé à mon ancien compagnon et ami. Se serait-il engagé auprès des selcyns ? J'ai envie de croire que oui. Notre relation n'était pas toujours parfaite, cependant Saïd possédait un grand sens de la justice, un peu comme Kalen, finalement. Il était aussi très rancunier, mais certainement pas au point de rester sans rien faire face à une menace de cette ampleur. J'ai peur de perdre Kalen, comme j'ai perdu Saïd. Que me resterait-il de lui s'il ne revenait jamais des combats contre le Consul ? Est-ce que je pourrais me remettre d'une telle tragédie ? J'ai sincèrement aimé Saïd, du moins j'étais très attachée à cet homme. Mais ce n'est en aucun cas comparable avec ce que je ressens pour Kalen. Rien ne le sera jamais.

Un lieutenant de Faraday-51 arrive en courant dans l'infirmerie, stoppant net mes réflexions. Sayan prend le temps de finir sa (longue) phrase avant de se taire pour le laisser parler.

— Nous sommes entrés dans l'espace aérien européen. Ici, c'est déjà le matin. Nous allons attribuer les IAM à tous les pilotes volontaires. Si ces dames veulent bien me suivre...

Je me lève lentement et me dirige vers Sayan pour l'enlacer, imitée par Mei. Notre ami nous enveloppe de ses bras musclés. Le temps où les selcyns n'offraient aucune marque d'affection est révolu. Pourvu qu'il reste un monde où nous pourrons tous en profiter.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant