Chapitre 25 - Coup de Poker

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Les jours puis les semaines s'enchaînent sur la base, et je peux désormais circuler librement. Les hommes de Kalen se sont habitués à moi. S'il serait présomptueux de parler d'intégration, je peux tout de même affirmer qu'ils me tolèrent. Pour être plus précise, la grande majorité accepte ma présence avec indifférence : ils me saluent d'un hochement de tête lorsqu'ils me voient, répondent de façon minimaliste à mes questions, mais toujours en gardant une distance polie. Les autres se divisent en deux catégories : les curieux qui tentent quelques ébauches de contacts, voire davantage, et les méfiants qui m'évitent ou m'ignorent purement et simplement. Pas de quoi m'empêcher de faire ma petite vie.

Je me rends tous les jours à la salle de sport. J'ai décidé de reprendre la boxe... contre l'avis de Kalen qui semble persuadé que je risque ma vie à chaque entraînement. Eh oui, aussi incroyable que cela puisse paraître, il est parfois légèrement dans l'excès et un peu mère poule. Mais je suis accro à ce sport. Pratiquer une activité physique régulière m'a permis de réaliser que, depuis mes séances de flaster, j'ai gagné en masse musculaire et donc en force de frappes. De plus, j'ai la nette impression que mes capacités physiques ont évolué : je suis plus rapide, j'anticipe mieux, mes sens sont plus précis. Je reste néanmoins largement en dessous des selcyns. D'ailleurs, dès le troisième entraînement, j'ai frôlé le KO. J'ai supplié Terk de ne rien dire à Kalen, ce qu'il a concédé à condition que j'accepte qu'il m'apprenne à gérer mon souffle. Depuis, il est devenu mon coach. Si Saïd n'était pas tendre quand nous étions sur le ring, à côté de Terk, c'était un agneau ! (non, Terk, c'était bien un humain, c'est juste qu'il était plus sympa que toi) Mais tant mieux, il me pousse tellement à bout que j'oublie tout, concentrée sur mes enchaînements. Je termine chaque session épuisée et en nage. L'o-xy-gé-na-tion, me répète en boucle mon entraîneur.

Terk n'est pas le seul avec qui je passe du temps. Sayan a toujours des conversations très intéressantes. Ce type est un puits de savoir auquel j'adore m'abreuver. Bon, je reconnais que j'oriente subtilement nos échanges vers le thème de la neurologie chaque fois que cela est possible, histoire de mieux comprendre les mécanismes du flaster. Sayan est très calé, il enchaîne des explications qui me paraissent pour le moins fumeuses avec un enthousiasme débordant. Résultat : c'est à peine plus clair dans mon esprit, mais au moins, maintenant, son opinion sur moi a changé. Je ne suis plus idiote, je suis une gentille idiote.

Depuis peu, il s'est mis en tête de m'apprendre quelques mots en selcyns. Tout a commencé le jour où je lui ai fait part de mon étonnement face à l'utilisation massive de la langue terrienne universelle. Il m'a expliqué que beaucoup de sons de leur langue d'origine sont impossibles à produire avec leurs nouveaux corps, mais qu'ils ont tout de même gardé quelques bribes au cas où il leur faudrait communiquer sans être compris par des humains. J'ai retenu ve pour oui, gol pour non, gatih pour bonjour et hish pour attraper (cet abruti de Viking de l'espace adore me jeter des trucs par la tête en hurlant HISH !). J'avoue que Sayan est le selcyn qui m'étonne le plus, dans un sens positif (enfin, après Kalen). Il semble avoir compris les problèmes d'ordre éthique que pose leur projet de reproduction in vitro. Il passe d'ailleurs plus de temps à enfiler des perles (ou à me jeter des trucs à la figure) qu'à réparer activement les couveuses, histoire de faire durer le suspense. C'est du moins ce que je constate, car jamais il ne l'avouera. Je lui en suis silencieusement reconnaissante.

Jafro est devenu ma nounou officielle. C'est ainsi que je le nomme. Il déteste, du coup, je continue à utiliser ce surnom. Kalen étant souvent en déplacement ou en plein travail (je me demande en quoi ça consiste : il peut rester enfermé une journée entière dans son appartement), c'est lui que je dois embêter quand j'ai besoin de quelque chose. Je ne me prive pas. Oui, je sais, le plan initial était de sympathiser. Mais c'est tellement barbant d'être gentille ! Je préfère jouer les enquiquineuses, et je suis prête à parier que Jafro préfère ça aussi. L'autre jour, alors que je lui faisais part de mon mécontentement concernant la qualité de certains vêtements de mon dressing et mon désir d'en posséder de nouveaux plus à la mode, il a secoué ses boucles blondes en me regardant d'un air blasé. Puis il a ajouté qu'avec moi, il ne s'ennuyait pas. C'est un signe, non ? Il m'adore !

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant