Chapitre 40 - Marcher sur des œufs

424 49 23
                                    

25 juillet 2289 - base de Lausanne

Kalen porte un tee-shirt à manches longues vert moulant parfaitement sa silhouette musclée, et un pantalon gris anthracite qui lui fait un fessier d'enfer. Est-ce que j'aurai à nouveau l'occasion de l'approcher ? Je secoue la tête pour me reconcentrer sur ses révélations. Des ennuis... quel doux euphémisme. J'aurais plutôt dit qu'on est dans la mouise jusqu'au cou ! Je soupire en regardant le paysage idyllique qui s'étend devant moi à travers l'immense paroi vitrée. Les montagnes si belles, majestueuses et solides, semblent s'amuser de notre situation désastreuse. Et c'est encore moi qui ai semé la zizanie. Houlm m'a entendu crier, hier. Kalen ne l'a pas dit ainsi, mais je ne vois que cette explication. Le peu de selcyns au courant de notre présence avait pour ordre de ne rien dévoiler aux autres, et surtout pas à Houlm. Et pourtant, iel a su que j'étais ici. J'ai rappelé à Sam et Mei que c'est cet enfoiré de première qui m'a laissé me noyer en profitant au calme du spectacle. La première a haussé les sourcils, contrariée d'avoir la confirmation que je n'étais pas amie avec tous mes anciens geôliers, et Mei a longuement réfléchi à cette histoire de femme dans un corps d'homme. Mon refus d'utiliser le féminin s'explique par le fait que Houlm, contrairement à Jofen, apprécie réellement ce changement de genre. On peut même dire qu'iel ne s'identifie plus comme individu de sexe féminin. Mei approuve en se grattant la tête. Je suis certaine qu'elle est en train d'évaluer le potentiel sexuel d'un tel individu. Il n'y a qu'elle pour avoir ce genre de pensées pour quelqu'un qui vient de nous condamner à mort.

Cet imbécile de Houlm a donc eu vent de ma présence ici et, chemin faisant, a réussi à retracer l'épopée de Jofen, Kalen et Sayan pour me libérer. Évidemment, iel a vu une belle occasion de se faire bien voir (et de m'en faire baver au passage, point non négligeable). Je dois expliquer aux filles que Houlm appartient à une caste inférieure, c'est un domestique ou un Scalt. De ce fait, iel est peu estimé par ses congénères, mais attend avec patience son heure de gloire pour gravir les échelons dans ce nouveau monde qui bouscule l'ordre établi sur Selcyon. J'imagine qu'iel n'a pas hésité une seconde pour nous dénoncer au Grand Consul. Kalen était convoqué ce matin pour un entretien en visio et la sentence est sans appel : nous sommes tous les six condamnés à mort. Rien que ça. Bon, en même temps ça ne change pas grand-chose pour Kalen et moi. Mais maintenant, voilà nos amis impliqués, et ça, ça me met dans tous mes états. En revanche, cette décision n'a pas eu l'air de beaucoup émouvoir Jofen et Sayan. Ni Mei. À croire qu'il n'y a que la jeune Sam qui semble comprendre la gravité de la situation.

— Et si nous le prévenions de la menace nucléaire, tenté-je, est-ce que le Grand Consul pourrait faire preuve de clémence en guise de remerciement ?

— Il faudrait lui faire comprendre que nous détenons des informations importantes et essentielles pour sa guerre, continue Mei. Pas juste lui balancer ce que nous savons. Il faut qu'il ait un intérêt à nous maintenir en vie.

— Quel genre d'infos ? demande Sam. Je veux la paix, mais je refuse de trahir les miens.

— Tu as raison, réponds-je. On pourrait lui apporter des infos sur Lee. Et sur le mode de fonctionnement des têtes nucléaires. On pourrait lui parler des conséquences sur les régions de Chicago et Tchernobyl, mais aussi des types d'armes autonomes que possèdent les armées russes et asiatiques. Et puis tout simplement lui faire miroiter des infos fictives. Kalen, ça peut marcher ?

— Le Grand Consul est difficile à tromper, marmonne-t-il.

— Comment savoir, nul n'ose jamais lui désobéir ! m'exclamé-je.

— Ça, tu n'en sais rien, Chaton ! dit Kalen d'une voix glaciale. La désobéissance est le pire des crimes, et peu s'y risque, car nous savons ce que subissent ceux qui s'en rendent coupables. Et si nous le savons si bien, c'est parce qu'il y a déjà eu des cas.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant