Chapitre 27 - Battre de l'aile

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Le salon est le même que dans mes souvenirs, sauf peut-être le canapé. Je ne suis plus sûre de rien. Je reste plantée en plein milieu, un cadre photo à la main. Ils sont là : mes parents. Ils ont l'air si jeunes. Les boucles blondes de ma mère sont soulevées par le vent. Elle a posé une main sur le genou de mon père, ce grand homme aux cheveux clairs et aux immenses yeux bleus si similaires aux miens. Lui-même tient un bébé à la bouille ronde dans ses bras : moi. Ils sont tous les deux souriants, sereins.

— Tu ressembles beaucoup à ton géniteur, me dit Kalen. Sauf les cheveux, ce sont ceux de ta génitrice.

— On parle de père et de mère chez les terriens, réponds-je. C'est un lien bien plus fort qu'une simple transmission d'un patrimoine génétique. Enfin, dans les familles lambdas. Quand il y a de l'amour.

— De l'amour..., répète Kalen, songeur. Encore l'amour. Tout revient toujours à ce mot chez vous.

— Oui, c'est un sentiment tellement grisant. Il peut prendre plusieurs formes. Il lie les familles, les amis, les amants. C'est ce qui fait qu'on prend soin les uns des autres. On se câline, on se soutient, on rit ensemble, on se fait confiance, on se souhaite le meilleur. Par amour pour moi, mes parents ont dépensé tout leur argent pour que je puisse étudier dans les meilleures écoles.

— Tu veux dire que par amour, ils t'ont envoyé loin d'eux ?

— Pour que mon avenir soit meilleur que le leur. L'amour, c'est aussi vouloir se sacrifier pour l'autre, accepter de le laisser l'autre quand on sait que c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Mon diplôme en poche, peut-être que j'aurais pu travailler en Afrique Réunifiée, ou en Amérisud, là où il y a le plus de richesses. J'aurais pu devenir une grande chirurgienne...

— Mais à quoi sert la richesse si tu es loin de ceux que tu aimes ? s'étonne Kalen. Qu'est-ce qui est le plus important ?

— Eux, bien sûr ! répliqué-je. Sans aucune hésitation. Je les aurai fait venir aussi. À vrai dire, je n'ai jamais réfléchi aussi loin.

— Je trouve idiot de sacrifier le temps dont on dispose avec les êtres aimés dans l'espoir de les retrouver, plusieurs années plus tard, en ayant une meilleure situation financière. Il peut se passer tant de choses avant que cela n'arrive ! Je pense qu'il faut profiter du moment présent.

— Tu deviens philosophe ? demandé-je avec un petit sourire triste. Tu sais, à Amsterdam, la plupart des gens voulait quitter cette Europe qui se paupérisait, cette région perdue qui sent le poisson. Je crois qu'effectivement, nous avons perdu de vue l'essentiel : nous. Si c'était à refaire... je laisserais une place plus importante à ma vie de famille. Mais je n'abandonnerai pas mon rêve et mes études pour autant. Je suis sûrement une mauvaise fille.

— Je ne sais pas comment définir une bonne et une mauvaise fille, me répond Kalen, pragmatique. Mais tu me parais être une bonne personne.

Je le regarde. J'aurais pu être touchée de le voir me remonter le moral s'il n'avait pas cette mine affreusement triste. Je ne parviens pas à détourner mes yeux des siens. Quelque chose ne va pas.

— Qu'y a-t-il ? m'interroge-t-il.

— Rien, soupiré-je. Tu veux du vin ?

— Non merci. Je voudrais comprendre. Est-ce que tu aimais Saïd comme tu aimais tes parents ?

Je ne suis pas certaine de vouloir évoquer le sujet, mais il m'a amenée jusqu'ici, je lui dois mieux qu'un silence gêné. Je réfléchis à la meilleure réponse possible.

— Oui et non. J'avais totalement confiance en Saïd, on connaissait les défauts et les qualités de l'autre. Nous nous entraidions. Mais dans une relation amoureuse de type « couple », il y a un peu plus.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant