Chapitre 21 - Pas de roses sans épines

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Purée de chiotte de crotte de merde ! Je me suis mal réceptionnée. À genoux au sol, la cheville douloureuse, je lutte vaillamment contre une forte envie de pleurer. Une entorse. J'en mettrai ma main au feu. Tout ça pour ça. Non, Lily, tu es une battante ! Reprends-toi ! Je m'automotive tant bien que mal en visualisant les visages de ceux qui me manquent tant. D'abord mes parents, puis ma meilleure amie, et enfin mon ami et ex-compagnon. Sans que je sache pourquoi, il est rapidement remplacé par celui de mon ravisseur : K. Après une brève sensation de culpabilité, une colère salvatrice s'empare de moi et je me remets debout tant bien que mal. Je dois me rendre à l'évidence : impossible de m'appuyer pleinement sur mon pied gauche. Me voilà à sauter à cloche-pied en grimaçant de douleur à chaque réception tout en priant pour vite trouver de quoi faire office de béquille. Le village est à deux ou trois kilomètres, combien de temps avant qu'Houlm et ses copains réalisent ma fuite ? Bon sang, je suis dans la mouise.

L'adrénaline aidant, je parviens à m'éloigner de la base moins lentement que ce que je craignais, en marchant à quatre, enfin trois pattes et en prenant soin de me dissimuler au maximum derrière la végétation. Mon corps s'habitue étonnement à la douleur. Je suis serrée dans ma chaussure, mais je sais que je ne dois surtout pas la retirer sous peine de ne plus pouvoir la remettre à cause du gonflement. La chance semble enfin me sourire puisque je trouve assez rapidement une tige métallique appartenant à l'origine à un panneau routier. Me voilà équipée pour un marathon, enfin, façon de parler. J'accélère le mouvement en déviant ma trajectoire de sorte à passer derrière les premières habitations. L'air marin emplit mes poumons, les mouettes piaillent au-dessus de ma tête, l'espoir revient. Quand je serai dans le village, les cachettes seront nombreuses, je pourrais me reposer. Puis, à la nuit tombée, je trouverai un bateau pour rejoindre l'Afrique Réunifiée. Je peux le faire. Je me retourne vers la base selcyne : je ne vois que le haut du bâtiment, et aucun mouvement n'est à signaler. Je m'autorise à souffler cinq minutes.

Une grosse heure plus tard, je suis trempée de transpiration, mais j'ai atteint les rues du village de Santa Luzia. J'aperçois les hautes digues faisant office de quai et de protection contre la montée des eaux, elles sont à moins d'un kilomètre à présent. À bout de souffle, je profite d'une nouvelle pause pour regarder autour de moi. Cet endroit a tout d'un village de résidences secondaires pour riches africains cherchant l'exotisme et les bas prix de l'Europe. Ce genre de hameau de vacances pullulait les dernières années avant le Grand Chaos. Les immenses villas de style méditerranéen sont abandonnées depuis plusieurs années, mais le luxe de jadis est encore perceptible. Les jardins autrefois entretenus par les employés de maison sont devenus des édens incontrôlables. Personnellement, je préfère ce côté sauvage et indomptable à la perfection des magazines touristiques. L'un d'entre eux, plus beau encore que les autres, attire mon regard. Il appartient à une habitation à la taille démesurée dont la splendeur d'antan est à peine entamée. Des palmiers, lauriers et cyprès se côtoient au milieu de tapis de fleurs aux mille couleurs. Les abeilles et papillons ne s'y trompent pas : il y en a partout !

Je m'approche de la grille métallique et constate avec satisfaction qu'elle n'est pas verrouillée. J'entre au milieu des herbes folles en quête d'une porte d'entrée. Les odeurs sont délicieuses, enivrantes. J'oublie quelques secondes ma situation précaire. Un petit étang a été creusé, surplombé par un pont recouvert de rosiers et de liserons. En voulant m'approcher, ma cheville me rappelle que l'heure n'est pas l'émerveillement. Je marmonne deux ou trois jurons et me redresse, en rogne. C'est à ce moment-là que je l'aperçois. Au fond du jardin, un monticule de terre étrange interpelle mon regard. Mon cœur s'emballe. Se pourrait-il que les riches habitants de ce lieu aient bâti un abri Faraday ? Une folie propre à une classe de la population qui ne savait plus vraiment quoi faire de son argent, mais qui, comme l'histoire l'a démontré, s'est avérée fort utile.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant