Chapitre 26

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Rejoindre l'abbaye depuis Notre-Dame ne prit pas bien longtemps, mais se débarrasser de Charles, en revanche... Il avait refusé toutes ses tentatives d'explications et lui avait filé le train jusqu'à être certain qu'elle était en sécurité entre les murs anciens.

Ensuite, il s'était évanoui dans l'obscurité comme s'il n'avait jamais existé, et le cœur de Solange avait marqué une minuscule pause. La manière qu'il avait de disparaître quand il en avait envie était terrifiante.

Au moins, il était de son côté. Quoi que ça puisse bien vouloir dire.

A pas silencieux, elle traversa l'abbaye, jetant un coup d'œil aux malades qui s'y trouvaient. Certains étaient clairement au bout du rouleau, d'autres avaient probablement péri dans les heures qui avaient précédé, mais, pour une fois, elle n'avait pas de temps à leur accorder.

La mort était penchée sur eux tous, Solange avait bien le droit de lever son majeur dans sa direction pour une fois. Elle devrait attendre un petit moment, rien que quelques dizaines d'années de plus.

Les doigts refermés sur les poignées glacée des appartements de Marius, elle marqua une petite pause. S'il l'avait fermée de l'intérieur... Elle aurait peut-être dû dire à Charles de l'attendre, finalement. Lui aurait été capable de crocheter la serrure si besoin.

Elle poussa doucement et, par chance, le battant s'ouvrit lentement, sans heurt. Il lui fallut bien plus de force qu'elle ne l'aurait cru, mais elle parvint à se glisser à l'intérieur sans plus de difficulté.

Pour un homme qui semblait en permanence être sur le qui-vive, qui songeait à tout et faisait preuve d'une intelligence atrocement aiguisée, il n'avait pas l'air de craindre qu'on l'attaque en traître. Ou bien il l'avait entendue et s'apprêtait à la poignarder, planqué dans les ténèbres.

— Marius ? tenta-t-elle à voix basse.

La porte de la chambre était entrouverte, juste assez pour qu'elle puisse s'y glisser.

La douce chaleur qui y régnait lui fit instantanément regretter d'être habillée. Sa robe était à peine décente, si basique qu'elle en aurait presque eu honte si elle avait pris plus de quelques secondes pour y penser.

C'était le genre de chose qu'on portait chez soi, pour faire le ménage ou la cuisine sans craindre de se tacher. En tout cas, personne ne choisirait une telle tenue pour sortir aux yeux de tous, et encore moins pour aller voir son prétendant.

Tant pis.

La douce lueur du feu éclaira le visage étrangement serein de Marius dans le sommeil. Il semblait plus jeune comme ça, plus tendre, presque innocent.

Solange avait beau savoir qu'il ne l'était pas, elle ne put s'empêcher d'être attendrie par une telle vision. C'était une facette de lui que peu de personnes devaient avoir vue au cours de leur existence ; il était trop secret pour ça.

Même lorsqu'il ne portait pas son uniforme, le médecin dissimulait souvent son visage. Parfois il nouait un foulard pour cacher ses traits, ou bien portait un chapeau dont les ombres faisaient le travail pour lui.

La lourde couette qui le recouvrait dévoilait uniquement ses épaules aux muscles détendus. La joue posée sur ses bras croisés, Marius était particulièrement immobile. Seule sa poitrine se soulevait tranquillement.

Les cernes sous ses yeux étaient inquiétants, mais rien qu'une bonne nuit de sommeil ne pourrait régler.

Si ce que Charles avait dit était correct, il n'avait pas dormi depuis un bon moment et avait fini par tomber d'épuisement. Exactement comme elle ces derniers jours.

Vivamus, Moriendum EstOù les histoires vivent. Découvrez maintenant