Chapitre 10

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Les poings appuyés contre la table, la tête penchée en avant, Marius hurla.

Est-ce qu'il avait merdé ? Est-ce qu'il était allé trop loin ?

Il avait beau se repasser le fil du repas encore et encore, il n'arrivait pas à comprendre la réaction de Solange. Il lui avait fait peur, d'accord, mais pourquoi ? Ça n'avait été qu'un baiser, bien plus correct que le moment qu'ils avaient passé dans sa chambre.

Il ne comprenait pas. Le médecin n'avait touché que ses jambes, et pas plus haut que ses genoux. C'était probablement beaucoup pour une femme qui n'avait jamais partagé d'intimité avec un homme, mais définitivement pas plus qu'ils n'aient déjà fait.

La sueur dégoulinant le long de son dos, ses muscles tremblants sous la rage qui brûlait ses veines, Marius dut se faire violence pour rester à sa place. Il ne savait pas combien de temps s'était écoulé depuis que Sol avait pris ses jambes à son cou, mais ce n'était définitivement pas assez.

S'il bougeait maintenant, il allait la traquer.

Les dents serrées à en fendre la pierre, il jeta un œil autour de lui. Une assiette avait survécu à son nettoyage brutal un peu plus tôt, mais la seconde gisait en morceaux par terre. Son verre s'était renversé, le vin tachant le bois.

Sa salle de vie ressemblait à une foutue scène de crime même s'il n'y avait pas de corps. Jamais il ne ferait de mal à sa Sol, en tout cas pas consciemment.

Mais il l'avait fait, non ?

Marius prit une profonde inspiration en se redressant, son dos hurlant de douleur. Il était si tendu que chaque parcelle de son corps le faisait souffrir, lui donnant envie d'écraser son poing sur la table juste pour que quelque chose change.

Il avait terrifié Solange et ne parvenait pas à savoir à quel moment les choses avaient dérapé. Elle en avait autant eu envie que lui, ça il en était certain : elle avait cherché son attention dès son réveil, de façon un peu hésitante, certes, mais très clair.

Comment un baiser avait-il pu la déstabiliser à ce point-là ? Est-ce qu'elle avait cru qu'il allait la forcer à quelque chose ?

Le sang du médecin se glaça à l'idée qu'elle ait pu croire qu'il allait la violer. Il n'avait même pas eu l'intention de pousser les choses aussi loin, juste un baiser, peut-être deux, et profiter de sa présence.

Sol n'était pas prête pour plus, et il n'était pas stupide au point de prendre le risque de la compromettre. Il la voulait, oui, mais ce n'était pas parce que lui était épris que son infirmière devait forcément l'être.

Un refus était une option qu'il avait envisagée. L'idée ne lui faisait pas plaisir, mais il essayait de s'y faire. Sans trop grand succès.

Marius récupéra son verre renversé, se versa à nouveau de vin et le bus cul-sec. Deux fois. Il allait avoir besoin de bien plus d'alcool, et un fort, d'ailleurs, s'il voulait parvenir à se détendre. Son instinct lui hurlait de se rendre chez Solange, de vérifier qu'elle allait bien.

Ou au moins qu'elle était bien rentrée.

Il savait où elle habitait depuis le premier jour, s'était glissé dans son appartement plutôt confortable plus d'une fois. Ça avait été une question de sécurité : il ne pouvait décemment pas laisser une femme seule aller et venir alors que le soleil n'était pas levé sans être absolument certain qu'elle ne risquait rien.

Pour la peine, le docteur s'était penché sur ses voisins, tous des couples agréables, ainsi qu'une vieille fille qui adorait ses chats. Il y avait eu, quelques années plus tôt, un homme un peu trop accro à la bouteille, mais il avait quitté les lieux avant que Solange y emménage.

Toutes ses recherches n'avaient mis qu'un chose en lumière : le quartier était calme, sécurisé, avec des patrouilles de police régulières et des commerces florissant. C'était un endroit plutôt huppé, en tout cas au-delà des moyens de la plupart des gens.

Oh, Marius savait également à propos de la duchesse. Ça n'avait pas été bien difficile de percer à jour la réputation que Sol ; la plupart des femmes de la haute société n'avaient juré qu'à propos de ses créations à chaque soirée auxquelles il s'était rendu.

Il n'avait pas menti en disant qu'il avait été dans l'armée. D'autant plus que, techniquement, il était bel et bien un médecin. Ou chirurgien. Qu'importe le nom qu'on donnait à celui qui évitait aux autres de mourir sur le champ de bataille.

Sur le plan plus tangible, il possédait un sacré paquet de médailles, bien rangées avec son uniforme de cérémonie dans une malle qui n'avait pas vraiment eu d'utilité depuis le début de l'épidémie. Ça faisait de lui quelqu'un malgré sa basse naissance.

Marius songea une seconde à sortir la bouteille de scotch qu'il gardait planquée dans un placard. Ça serait un meilleur moyen de finir sa nuit plutôt que d'aller rôder comme une âme en peine sous la fenêtre de Sol.

D'accord, il n'y avait rien de vraiment glorieux à cuver pendant une nuit entière, d'autant plus que la gueule de bois du lendemain n'allait pas être tendre. C'était une solution de dernier recours, comme un drap jeté sur un cadavre pour cacher le carnage.

Tiens, d'ailleurs, en parlant de ça...

Les sourcils froncés, le médecin songea à ceux qui se trouvaient dans la crypte. Le dernier de ses cobayes était mort, le laissant sans aucune source de vie pour créer son remède. Avec les stocks qui lui restaient, il pourrait tenir facilement quelques semaines ; peut-être trois ou quatre mois s'il s'y prenait bien.

De toute manière, il n'y avait que Solange qui comptait. A eux deux, ils n'avaient pas besoin de tant de soins que ça. Il devrait se contenter des injections plutôt que de la poudre bien plus discrète, mais ça pourrait faire l'affaire.

Avec un petit claquement de langue, Marius se rendit à l'évidence : il allait devoir partir en chasse aussi vite que possible. Probablement cette nuit, d'ailleurs.

Les nuages s'étaient accumulés au-dessus de Paris, ternissant la lumière de la lune alors que la pluie battait les pavés. Les circonstances étaient absolument idéales pour aller chercher dans les rues exactement ce dont il avait besoin.

Vivamus, Moriendum EstOù les histoires vivent. Découvrez maintenant