Chapitre 30

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C'était rare d'avoir la chance de pouvoir voir Charles bouche-bée. Il avait une grande gueule et une sacrée tendance à l'ouvrir même quand il n'aurait pas dû. Ça lui avait valu un paquet de coups à l'époque, mais Marius n'était pas certain qu'il s'en souvienne encore.

Sa mémoire était fragmentée, abimée, presque illogique dans son fonctionnement.

Il n'avait pas seulement été un enfant battu, il s'était fait massacrer par une institution qui n'avait jamais voulu de lui tout en lui accordant tout de même une place. La violence avait toujours fait partie de son existence, même en tant que nourrisson.

— Je ne préfère pas les femmes édentées, marmonna-t-il en prenant place en face de Solange.

Il ne les aimait pas tout court, en tout cas pas comme le monde l'entendait généralement. Charles était dangereux, tout particulièrement au lit. Ses amantes n'en ressortaient généralement pas indemnes, par choix ou non.

Marius avait assisté à bien trop de scènes du genre pour être capable de les oublier.

— Que tu dis.

Une tranche de brioche épaisse à la main, Solange sourit en prenant une bouchée de bon cœur La façon qu'avaient ses yeux de se plisser était si familière que le cœur du médecin se réchauffa agréablement.

C'était si bon de le voir qu'il ne put s'empêcher de la dévisager. Il tuerait pour cette vue.

Il l'avait déjà fait.

Les sourcils froncés, Marius tenta de remonter le fil des dernières semaines. Les jours s'étaient enchainés en se ressemblant, à tel point qu'il avait perdu la notion du temps. De quand datait la dernière injection ?

Il faudrait qu'il jette un œil dans son carnet pour s'assurer qu'ils étaient encore dans les délais. Plutôt mourir que prendre des risques inutiles.

— Tu sais où son Achilles et Jules ? demanda-t-il quand Charles se pencha e avant, les dents en avant.

— Non, pourquoi ?

— On parlait d'eux avec Solange.

Mine de rien, Marius ne les avait pas revus depuis un moment, sans parler du fait de se retrouver tous les quatre au même endroit. Les deux frères avaient pris l'habitude de fuir, tout le temps. Ils avaient un mal fou à se poser quelques semaines au même endroit.

Le lien qu'ils partageaient était unique, plus solide que celui de n'importe quels frangins. Ils se suffisaient amplement et parfois, il se sentait de trop en leur présence, comme un observateur malvenu.

— Ils n'étaient pas en Autriche ? tenta Charles. La dernière fois que je les ai vus, c'était en Suisse et ça remonte à longtemps.

En général, chacun d'entre eux se trouvait dans un coin du monde, aussi loin que possible des autres. Ce n'était même pas volontaire. De temps en temps ; leurs chemins se croisaient à nouveau, et c'était comme retrouver une partie de son être.

A ses yeux, chacun de ses hommes faisait partie de sa famille. Une famille un peu étendue et cabossée, mais une famille tout de même.

Si Solange n'avait pas fait partie de l'équation, Marius aurait probablement sauté dans les bras de Charles à l'instant où il avait fait connaître sa présence à Paris. Ils ne s'étaient pas revus depuis des années, bien trop longtemps à son goût.

— J'aimerais bien pouvoir les contacter, soupira-t-il.

Il était le seul à s'établir suffisamment longtemps quelque part pour être facile à retrouver. Les autres restaient volontairement aussi volatiles que des spectres. Les saisir relevait du miracle ou de beaucoup de chances.

Vivamus, Moriendum EstOù les histoires vivent. Découvrez maintenant