Chapitre 29

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Assise en tailleur sur un lit qui n'était définitivement pas le sien, Solange releva les yeux sur l'homme qui lui avait appris ce que c'était que d'aimer. Il n'avait pas lésiné à répondre à ses questions, même les plus déplacées.

Installé de l'autre côté du matelas, Marius la couvait d'un regard à la fois brûlant et plein de tendresse.

— Mon absence passe encore, mais la tienne va être remarquée, non ?

Pour toute réponse, il haussa les épaules comme si ce n'était pas un problème.

Et ce n'en était peut-être pas un maintenant qu'elle y pensait. Comme l'abbaye avait été placée sous ses soins par décret royal, il était le chef ici, celui qui possédait tous les droits. Y compris prendre un jour de repos.

Ce n'était encore jamais arrivé, en tout cas pas qu'elle s'en souvienne. Solange avait manqué certains jours, que ce soit par maladie ou épuisement, mais ça avait été ponctuel. Si le médecin s'était absenté une seule fois, elle ne l'avait pas remarqué.

— On est dimanche, déclara Marius. Personne ne travaille le jour du seigneur.

— Tu ne crois pas en Dieu.

Une lueur amusée passa dans son regard sombre.

— Toi non plus. Est-ce que ça veut dire qu'on doit se lever et aller travailler ?

Avec une moue, Solange perça un nouveau trou sur le morceau de cuir qu'il avait réussi à se procurer.

Elle n'avait aucune envie de briser la quiétude de l'instant, et encore moins de retourner dans le véritable enfer peuplé de malades qui se trouvait juste derrière la porte. Être infirmière aurait pu lui plaire si la couture n'avait pas été sa passion.

Et si la peste n'avait pas refermé ses griffes sur l'Europe.

Là, elle ne servait à rien d'autre qu'apaiser leurs souffrances. Quand elle y arrivait en tout cas. Il n'y avait pas suffisamment d'opium sur cette planète pour traiter chacun d'entre eux en permanence. La fière était vivace, si agressive qu'elle ne laissait aucune place à la contre-attaque.

Au final, c'était un combat perdu d'avance qui la rongeait un peu plus chaque jour. Son moral n'y survivrait, tout comme ses amis, sa famille.

— Je n'ai aucune envie de retourner dans ce cauchemar, marmonna-t-elle en perçant un autre trou. Même les remèdes les plus farfelus ne servent à rien, et les tiens sont trop complexes pour pouvoir sauver tout le monde.

En supposant que tout le monde mérite de l'être.

Aux yeux du monde, seul Dieu était censé avoir le droit de vie ou de mort sur un individu. En réalité, même l'homme le plus pieu avait tendance à oublier ce détail quand ça lui permettait d'obtenir plus de pouvoir, ou bien de s'enrichir.

Solange, elle, voyait la valeur d'un individu selon ses propres principes. Ce n'était ni objectif ni vraiment juste. Et pourtant, si elle avait dû choisir, elle aurait choisi.

— Je dois être prudent sur mes réserves, soupira le médecin. On ne peut pas sauver tout le monde.

— Et tu n'en as pas envie.

Il ne chercha pas à le cacher. C'était inutile, elle le connaissait trop bien pour ça.

Marius était un homme solitaire, un taiseux qui ne se liait jamais vraiment à quelqu'un. Il fallait une exception, une sorte de connexion irréelle, pour qu'il accepte de s'ouvrir et de faire rentrer quelqu'un dans son cercle proche.

La jeune femme n'aurait pas été étonnée d'apprendre qu'il se réduisait aux trois hommes qui avaient servi avec lui et elle. Quatre personnes, en tout et pour tout.

Vivamus, Moriendum EstOù les histoires vivent. Découvrez maintenant