Chapitre 1

246 51 5
                                    

La décision de venir vivre à Paris n'avait pas été facile à prendre pour Solange. Elle avait dû dire au revoir à sa famille, tout en sachant qu'elle ne pourrait pas communiquer avec eux. En tout cas pas facilement.

Ses parents étaient des fermiers, les meilleurs du coin, d'ailleurs, mais aucun d'eux ne savait lire. Quant à ses sœurs... Elles étaient toutes mariées, désormais. Seul son frère aurait pu décoder et répondre à ses lettre, mais il s'était engagé dans l'armée dès qu'il l'avait pu et n'était pas encore revenu quand elle était partie.

Abandonner sa famille derrière elle avait étirer son cœur de façon atrocement douloureuse. Ils n'étaient peut-être pas riches, mais ils s'aimaient, et la ferme était prospère.

Solange avait grandi dans un environnement aimant, soudé, et où quelqu'un était toujours prêt à l'aider si elle en avait besoin. Mais le mariage n'avait pas été dans ses préoccupations, pas alors qu'elle avait de l'or dans les mains.

En tout cas, c'était ce qu'avait dit cette duchesse pour qui elle avait dû coudre une robe sur le pouce.

La pauvre s'était fait attaquer alors qu'elle rejoignait sa résidence d'hiver, et ses malles avaient été pillées. Les biens matériels étant facilement remplaçables pour quelqu'un comme elle, elle avait décidé de prendre la fuite, de sauver sa peau.

Bonne décision, si on lui demandait son avis. Aucun bijou, aucune robe à la dernière mode, ne valait la peine d'être poignardée. Ou pire. Être une femme allait avec tout un tas d'inconvénients, à commencer par les hommes.

Solange s'était démenée pour trouver du tissu à la hauteur du rang de la noble, et elle s'était mise au travail. Le résultat n'avait clairement pas ressemblé de prêt ou de loin à ce dont elle avait l'habitude, mais après tout elle vivait loin de Paris.

La mode de la capitale était un monde à part entière, si codifié qu'il était impossible d'improviser. Un petit centimètre de tissu pouvait changer beaucoup de chose, voire même détruire définitivement une réputation.

Au moins, la robe avait plus et, peu de temps après, un messager était venu lui offrir une invitation que la jeune femme n'aurait jamais pu espérer : sa propre boutique de modiste rue de la Verrerie dans le quartier Saint-Gervais.

Tout était financé pour elle, de l'établissement aux premières étoffes. En échange, elle n'avait qu'a produire gratuitement les tenues de sa mécène. Du reste, elle était libre de faire prospérer son commerce comme bon elle l'entendait.

En réalité, le délai de réflexion avait été court : la duchesse avait attendu une réponse dans le mois. Si Solange ne s'était pas présentée le dix-huit avril, la missive aurait tout simplement été oubliée, et la vie aurait continué son cours.

A sa grande surprise, c'était son père qui l'avait poussé à partir, si fier de sa cadette qu'il avait pleuré en la hissant sur un cheval qu'il avait spécialement acheté pour l'occasion. Il lui avait fait promettre de revenir pour les fêtes, d'envoyer des nouvelles directement à la paroisse pour que le prêtre ou les sœurs qui s'y trouvaient les tiennent au courant.

Solange l'avait fait. Pendant deux ans, elle s'était acharnée à se faire un nom, à graver dans le marbre sa nouvelle place de modiste. Soutenue comme elle l'avait été par une noble, c'était allé plutôt vite, mais elle avait quand même dû se tuer au travail.

Et puis la peste était réapparue, toute droit sortie des cauchemars des anciens. Plus virulente, plus rapide, plus mortelle, elle n'avait pas épargné la capitale. Loin de là.

Les quelques premières semaines avaient laissé aux plus rêveurs l'opportunité de croire qu'il ne s'agissait que d'une grippe passagère. Personne n'avait voulu s'inquiéter, et encore moins croire que la mort était à nouveau venue toquer à leurs portes.

Vivamus, Moriendum EstOù les histoires vivent. Découvrez maintenant