Chapitre 20

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La seule fontaine en panne du jardin d'acclimatation se trouvait à cinq minutes de marche. Ils en avaient eu de la chance, pour avoir pu trouver un seul point d'eau défectueux. Pour être tout à fait honnête, je pensais aussi que la théorie de Romain était tirée par les cheveux. Mais puisque sa déduction était correcte, il n'y avait plus qu'à le suivre.

Nous suivions la guide, Gina, qui s'occupait de comparer la carte avec la réalité autour d'elle. Elle marchait devant nous, mais pas assez loin pour ne plus nous entendre.

— Cette théorie de la fontaine en panne m'a tout l'air d'être qu'une coïncidence, lui avouai-je.

— M'énerve pas, la petite.

— Mais si vous avez raison, je vous donnerai tout mon respect. Car je ne l'aurais jamais trouvée sans vous. Ça, c'est sûr.

Il ne dit rien, mais semblait heureux d'entendre mon compliment ; ses joues tiraient légèrement vers le rose.

Cet homme était si étrange. Il me détestait jusqu'à la moelle jusqu'il y avait quelques heures, et le voilà maintenant qu'ils partageaient ses théories et des paroles amicales en rougissant. Il me faisait l'effet d'un homme puzzle. Et à chaque fois que j'en croisais un, j'étais mue par une irrésistible envie de le résoudre. J'attaquai par le premier mystère. Probablement le plus complexe :

— Vous semblez être un homme perspicace. Comment en êtes-vous arrivé à côtoyer Gina Rodriguez ?

La journaliste retourna assez sa tête pour que l'on voie qu'elle n'était pas sourde.

— Je peux savoir pourquoi j'ai l'impression que tu opposes la première partie de ta phrase à la deuxième ? Romain est un homme perspicace ; évidemment qu'il me côtoie !

Elle nous tira la langue et retourna ensuite à ses cartes.

Romain joua avec le textile de son chapeau, tout content d'aborder le sujet de l'objet de son affection. Au moins lui pouvait penser à de la romance pure sans avoir à penser à une quelconque descendance royale, comme Dan.

— On s'est rencontrés il y a quelques années, quand Gina venait d'arriver sur le territoire français. Elle n'avait rien. Ni famille ni ressources pour s'en sortir seule. Elle, avec un groupe de petits camarades tous aussi chenapan les uns que les autres, se rendaient coupable de petites délinquances, histoire de combler la faim et le froid parisien. Je ne pouvais pas leur en vouloir, vous savez bien.

Alors là, je ne m'attendais pas du tout à entendre cela.

— Gina ? m'exclamai-je plus fort que je l'aurais voulu. Vous étiez une nécessiteuse ? Je n'aurais jamais cru. Et vous n'avez pas grandi ici ? Pourtant...

Romain répondit que sa place.

— Non, elle est mexicaine. Bon, en rétrospective, c'était assez évident avec son nom de famille, mais elle parlait si bien le français, et sans accent, que j'étais interpellée. À l'époque, j'étais un simple gendarme, donc j'étais constamment en train de la poursuivre elle et ses amis. J'ai laissé passer beaucoup de choses. Si j'étais rigoureux, il n'est pas sûr que Gina serait en liberté aujourd'hui. Elle a de la chance de m'avoir autant captivé. Maintenant, c'est une femme respectable, reconnue par ses pairs. Je suis fière d'elle. Tu entends ça, Gina ? Je suis fière de toi.

Elle arrêta de marcher, puis se retourna une nouvelle fois. Son expression faciale ne portait plus aucune trace de taquinerie. Elle observa Romain avec tant de tendresse que des guimauves auraient pu lui échapper des yeux.

— Romain... tu es un amour, tu le sais, ça ? Merci d'avoir toujours été là pour moi.

L'esprit de ce dernier parti en fumée, car il ne répondit pas à sa réflexion. Elle ne prit pourtant pas garde à cela et préféra nous montrer la fontaine en face d'elle.

Béret Écarlate et le Cirque à ParisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant