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Séra n'avait aucune envie de raconter quoi que ce soit à Dante. Même si elle lui devait en partie la liberté, même s'il lui avait donné à manger, et même si elle souriait intérieurement en le voyant déguster ses crevettes avec toute la joie du monde. Et ce pour une raison simple : elle le connaissait depuis une heure à peine.

Mais il était hors de question de frôler à nouveau la catastrophe comme avec l'incident de la bouteille. Alors elle se résolut à lui avouer une semi-vérité, tirée de ses séances d'espionnage au laboratoire.

— J'ai une maladie qui... Euh... Disons que ça peut se transmettre par les fluides, donc c'est mieux d'éviter tout les trucs genre, échanges de salive. Du coup boire dans la même bouteille, c'est une super mauvaise idée.

Sauf si tu veux potentiellement mourir dans d'atroces souffrances.

— Je vois. Et c'est cette maladie qui te rend ultra-balèze ou ça n'a rien à voir?

La clairvoyance du jeune homme choqua momentanément Séra, et cela dut se voir sur son visage, puisque Dante ajouta alors d'un ton léger :

— J'ai tendance à être un peu trop gentil et ça m'attire des problèmes, mais ça veut pas dire que je suis complètement con. Je fais quasi trente centimètres de plus que toi alors même avec l'adrénaline, t'aurais pas dû pouvoir me relever si facilement tout à l'heure. Sans déconner, j'ai cru que t'allais me dévisser le bras.

Séra, ne sachant pas quoi répondre à ça, opta pour la solution de facilité. Changer totalement de sujet.

— Des problèmes comme la prison ?

— Ouai, c'est ça.

Honnêtement, la jeune femme était un peu intriguée par son aveu tranquille, autant que par son aptitude à tout trouver normal. Mais elle n'insista pas, se concentrant plutôt sur le contenu de son bol. Elle avait vraiment très faim et ne mit pas longtemps à tout engloutir, un service se transformant en deux, puis en trois. C'est donc avec une oreille rendue un peu distraite par la fatigue et la digestion qu'elle entendit la question suivante du jeune homme.

— T'as un endroit où dormir ?

— Non, pas vraiment.

Jusqu'ici, elle avait prévu de mentir pour se séparer de lui, puis se trouver un endroit tranquille dans un parc ou un coin de rue abrité pour se reposer un peu et réfléchir à la suite. Après tout, sa nouvelle température corporelle moyenne était au-dessus des quarantes degrés, alors une nuit dehors ne lui semblait pas être une épreuve trop difficile. Mais sa somnolence avait aidé la vérité à s'échapper de sa bouche et elle remarqua que tout compte fait, ça ne l'embêtait pas tant que ça.

— Hm, je vois.

Dante avait l'air d'avoir anticipé cette réponse et enchaîna joyeusement.

— C'est petit chez moi, mais tu peux dormir là pour ce soir si tu veux... C'est mieux que dehors et c'est gratuit, ajouta-t-il gentiment.

La proposition venait d'un quasi-inconnu qui avait avoué avoir fait un séjour en cellule, et Séra en était bien consciente. Pourtant, l'attitude protectrice de la vieille dame à l'égard de Dante lui disait qu'il n'était probablement pas aussi dangereux que la situation l'indiquait. Elle se sentait même inexorablement attirée par l'aura de sympathie et de confort qui semblait émaner du grand brun, comme par une oasis au milieu du désert.

Et puis, elle pouvait toujours l'assommer et reprendre son chemin, si jamais.

Alors elle songea que c'était peut-être mieux de repousser son échappée à demain matin. De toute façon les gens qui l'avaient retenue risquaient d'être occupés un moment, elle s'en était assurée en mettant le feu à plusieurs placards remplis de fioles et de bouteilles pour couvrir sa fuite. L'explosion qui en avait résulté avait été un bonus.

— Si ça te dérange pas alors, d'accord.

° ° °

C'était confirmé, elle sentait les ennuis à plein nez, mais Dante ne pouvait pas s'empêcher d'avoir de la peine pour Séra. Même si elle le cachait avec application, elle avait l'air perdue, force herculéenne ou pas.

Alors, une fois leur repas terminé, il remercia et salua la propriétaire de l'épicerie, camouflant un petit rire en la voyant plisser ses yeux déjà très ridés en direction de la jeune femme. Puis il guida cette dernière dehors dans la pénombre du milieu de soirée, pour la marche d'une quinzaine de minutes menant à son petit studio.

Son loyer minimal venait avec un quartier un peu plus lugubre que le reste de la ville animée, malgré les néons qui se reflétaient dans les quelques flaques de liquide indéfini qu'ils croisaient sur les pavés. Heureusement, Séra n'avait pas l'air trop dérangée par leur environnement. La musique qui émanait d'un peu partout et résonnait en sourdine aidait sûrement, et c'était peut-être aussi parce qu'il s'assurait de maintenir une discussion sur tout et rien comme il l'avait déjà fait, ayant clairement capté son refus de partager des choses trop personnelles.

Il parlait tout seul, il fallait l'admettre, mais ça ne le dérangeait pas vraiment.

Lorsqu'il arrivèrent chez lui, entrant directement dans la pièce unique lui servant à la fois de chambre et de cuisine après avoir grimpé une volée d'escaliers, son invitée tombait déjà de sommeil. Et elle dormait à poings fermés sur son lit une place, toute habillée, le temps qu'il ait fini d'installer son matelas de camping par terre.

Alors il se contenta de la recouvrir de sa propre couverture, observant une dernière fois son visage au teint mat encadré de cheveux charbonneux et ondulés, avant de s'enrouler dans un drap et de se laisser envahir par le sommeil à son tour.

Jusqu'à être réveillé par un cri perçant.

Nano.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant