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Séra voyait flou et à quelques centimètres de distance seulement, comme si une fine cascade coulait sur ses yeux : l'impression de mouvement titillait son oreille interne et la rendait malade. Tout son corps, le bout de ses doigts surtout, la démangeait effroyablement. Elle voulut regarder ses mains, mais bougea à peine malgré ses muscles tendus.

Des grincements. Une voix monocorde qui parle en boucle. Bruits, bruits, bruits.

Sous le coup de la panique elle tenta de crier ; un son presque guttural s'échappa de ses cordes vocales asséchées.

— Faites un truc, là-bas ! Tonna quelqu'un.

Quelqu'un qu'elle aurait reconnu entre mille, et en même temps, elle trouva l'inflexion étrangère. Trop dure par rapport à son souvenir.

Encore des voix. Plus agitées. Des cliquetis dans la pièce d'à côté.

Une matière lisse tirailla la peau de ses chevilles, de ses poignets et de son cou en glissant dessus. Son corps crispé n'étant plus soumis à aucune résistance elle décolla hors de sa geôle, emportée par son élan jusqu'à heurter un obstacle solide et mou à la fois. Ses pieds engourdis touchèrent terre en faisant remonter une désagréable vibration dans ses os, et son estomac vide, malmené, se contracta.

Liberté. Nausée.

Elle arracha son masque à oxygène devenu trop étouffant, mais sans rien à vomir, lâcha seulement quelques haut-le-coeur avant de tousser à s'en râper la gorge. Chaque séisme, bien que douloureux, l'éloignait de la torpeur.

Un bras barrait sa poitrine et l'empêchait de tomber complètement en avant, une grande main frottait son dos découvert.

Pas chaude et pas froide. Avec des callosités de travailleur manuel.

Afin de retrouver son équilibre dans le vrai monde, elle s'appuya sur le torse relié à ce bras et cette main, mais ses gestes étaient difficiles. Comme une marionnette, elle était entravée par des fils qui serpentaient de tous les côtés. Soudain prise de frénésie, le cœur tambourinant dans son crâne, elle entreprit d'arracher tout ce qui dépassait. Hormis ses vêtements, dans un éclair de lucidité.

— Attends ! Vas-y doucement, laisse-moi t'aider...

Douceur. Inquiétude.

Là. Là c'était son timbre habituel, bien qu'elle y perçut une pointe de douleur. Elle réalisa qu'elle s'agrippait à lui trop fort et essaya de se détendre malgré l'énergie qui déferlait dans le circuit de ses nerfs, lui laissant le soin de la dépêtrer de ses derniers électrodes. Elle tenta aussi de parler mais sa langue refusait d'obéir, et une bouillie de voyelles et de consonnes sortit de sa bouche à la place du prénom qu'elle avait voulu articuler.

— ... D... Aann...

— C'est moi. Je suis là.. Allez, respire, lui murmura Dante.

Envahie par le soulagement, la jeune femme appliqua le conseil pour calmer son pouls erratique et essayer de reprendre ses esprits. Elle inspira et expira plusieurs fois bruyamment, happant l'oxygène à grosses goulées jusqu'à ce que sa respiration commence à se réguler d'elle-même. Sa vision s'améliora ensuite, puis ses autres sens. Elle était dans les bras de Dante. Sentait son odeur, la vraie. Il était réel. Il lui avait manqué.

Un robinet qui coule. Du papier déchiré.

Séra était heureuse qu'il soit là, tellement que ça faisait mal. Elle songea à l'amour, une pensée quelque peu intrusive au vu de la situation. Il faudrait qu'ils en discutent quand elle saurait à nouveau comment faire, et si elle en trouvait le courage. Lui il savait bien parler, ça déteindrait peut-être pour une fois. Elle espérait qu'il lui parle encore, d'ailleurs, mais entendit quelqu'un d'autre à sa place :

Nano.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant