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— Virgile ? Tu voulais me parler ?

Habituée aux "convocations" du hacker, Séra lança sa question à la cantonade devant la porte blindée du sous-sol. Avec la villa désormais régulièrement occupée par neuf personnes, Virgile insistait pour que ses invités se signalent grâce à la sonnette en haut des escaliers, et patientent en attendant l'autorisation de descendre. Mais elle avait récemment reçu un passe-droit — le même que celui dont disposaient Astrid et Dante — qui lui permettait d'accélérer un peu le protocole.

Connaissant l'énergumène, la jeune femme avait été touchée par l'attention, même si elle n'était pas tout à fait dupe. Le renforcement de son habilitation intervenait alors que ses questions à propos de l'attaque des serveurs devenaient de plus en plus pressantes au fil des jours, et elle se doutait qu'il s'agissait là d'un moyen de l'amadouer un peu.

Aucune voix ne lui répondit, mais le buzz et les cliquetis caractéristiques du déverrouillage ne tardèrent pas, suivis d'une infime aspiration d'air lorsque la porte s'entrouvrit enfin. Séra se glissa dans l'antre circonspecte, guettant le dos du hacker auréolé de lumière artificielle, les sens en alerte malgré l'apparente routine.

Il se tramait quelque chose de bizarre, aujourd'hui.

Elle l'avait senti dès son réveil, en constatant l'absence de Dante à ses côtés. La drôle d'impression l'avait poursuivie lorsqu'elle était descendue pour trouver la villa déserte, son nez assailli d'une puissante odeur d'huiles essentielles. Des bruits indéfinissables résonnaient vaguement depuis la cuisine, mais son exploration s'était arrêtée au salon, où le grand brun grignotait distraitement du beurre de cacahuète à même le pot devant la télévision. Il avait tout de même daigné pencher la tête en arrière à son arrivée, ses cheveux déployés en halo sur le dossier du canapé, pour réclamer sa salutation matinale. L'air ravi qu'il affichait après leur baiser l'avait momentanément adoucie, elle devait l'avouer, mais ses soupçons avaient refait surface dès que son attention s'était concentrée sur l'écran à nouveau, alors qu'il la gratifiait seulement d'une phrase mystérieuse :

"Vivi a dit qu'il voulait te voir quand tu serais levée."

— 'Lut.

L'air occupé, le hacker acheva de pianoter sur son clavier avant de se redresser en frottant sa mince toison crânienne.

— Salut. T'es tombé du lit aujourd'hui, il se passe quoi ? Les filles sont pas à la maison ?

Son expression chiffonnée et ses yeux mi-clos ne trompaient pas sur son degré d'éveil, pas plus que sa tête secouée en signe de dénégation pour repousser l'interrogatoire. Le jeune homme se contenta de traîner des pieds jusqu'à elle, emmitouflé dans une robe de chambre en soie qui camouflait sans doute son absence de pyjama, le tout en ronchonnant :

— Wwwooow, trop de question avant midi là. Tu sais quoi ? Je vais me chercher un café et je reviens, t'as qu'à m'attendre ici, j'en ai pour une minute.

— Quoi ? Mais-

— Juste une minute, t'inquiète ! Assieds toi et fais comme chez toi.

— Virgile-

— À tout de suite !

Elle n'avait pas commencé à soupirer qu'il l'avait déjà dépassée, disparaissant en refermant la porte derrière lui. Agacée, la petite brune avança de mauvaise grâce vers le siège vaquant tourné à son intention et s'y laissa tomber, avant d'opérer un tour complet sur les roulettes en plastique. Elle allait amorcer le deuxième, lorsqu'un Post-It rose placardé sur l'un des écrans attira son regard.

Un post-it qui portait son prénom en lettres capitales.

— Qu'est-ce que...

Penchée de tout son long par-dessus le bureau, elle décrocha l'étrange message, apparemment recto-verso, pour le lire à voix haute.

Nano.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant