Nano.

47 - (2/2).

Troublée par tant de sérieux, Séra esquiva ses iris qui la sondaient. Ils étaient tous les deux marrons foncés aujourd'hui, grâce à la lentille colorée qu'il s'entraînait à porter en prévision de sorties prochaines. Dans sa fuite visuelle elle repéra son livre, abandonné sur la méridienne, et se haussa sur les genoux pour l'attraper avant de se lever.

— C'est si évident que ça ? Lança-t-elle par-dessus son épaule, en s'éloignant pour grimper l'escalier et ranger le lourd roman historique à sa place.

Le temps qu'elle comble l'espace vide qui lui revenait puis se retourne pour regarder au bas de la rambarde, Dante était debout. Il avait ramassé sa bande-dessinée, et marchait tranquillement vers l'autre bout de la pièce pour l'imiter.

— Un peu. J'ai l'impression que t'essayes de me faire passer un message, mais je suis pas encore tout à fait sûr duquel.

— J'y viens. Il faut encore que je te raconte ma honte.

— Dans ce cas, je suis toute ouïe.

De loin, le grand brun avait l'air de fureter tranquillement à la recherche de sa prochaine lecture, mais elle était quasiment sûre qu'il ne prêtait aucune attention aux titres inscrits sur les tranches. Elle décida donc de jouer le même jeu, survolant vaguement les étagères du regard tout en parlant.

— Ça remonte à notre séjour chez Susan. Je t'ai rien dit mais, je lui ai demandé si l'extraction des nano-robots pouvait faire revenir la myopathie.

— Après ce que tu m'as raconté je me sens un peu con de dire ça, mais j'espère que tu sais que la réponse à cette question m'intéresse seulement parce que c'est important pour toi.

— Savoir c'est une chose. Accepter c'en est une autre. Elle m'a assuré que c'était terminé, mais si elle avait dit l'inverse...

— ... T'aurais flippé, et tu m'aurais planté.

Son intonation ne portait aucun reproche, juste une calme constatation. C'était presque pire.

— J'en suis pas certaine, mais c'est possible. Peut-être qu'encore une fois j'aurais zappé mon instinct alors qu'il allait vers toi, ou non. Mais quand j'y repense, en sachant que j'aurais hésité, je me sens encore mal.

Son aveu contourna difficilement la boule qui se formait dans sa gorge, mais elle enchaîna, de peur de perdre le courage qu'elle avait mis tant de temps à rassembler :

— Tu sais, c'était pas tout à fait une vanne, quand je t'ai dit que je m'étais demandée si t'étais réel. Dès le début je t'ai trouvé parfait, tellement que ça m'a gonflée sur le coup, d'ailleurs. Et puis tu m'as montré tes défauts, petit à petit, et je t'ai trouvé encore mieux. Quand je suis sortie du coma à Londres c'était toi que je voulais voir, et t'étais là, même si t'avais une tête affreuse on va pas se mentir. C'est là que j'ai su. Que j'étais-

— Hm hm, non, stop. Le dis pas.

Plongée dans l'incompréhension et les joues brûlantes d'embarras, Séra s'approcha du garde-corps en laiton pour ne trouver que le dos de Dante, plus loin en contrebas. Sans se retourner, la tête baissée sur la rangée d'encyclopédies devant lui, ce dernier lâcha un soupir qu'elle aurait juré avoir entendu trembler, puis inspira fort et ajouta :

— Si on les utilise pour s'expliquer notre rapport à l'amour, moi aussi j'ai des histoires d'exs pour toi, avant.

Elle l'observa d'en haut chercher ses mots, tandis qu'il poussait sur le côté une des échelles montées sur rails qui jalonnaient les murs, décontenancée mais curieuse.

— J'ai jamais eu de relation aussi longue que la tienne, mais je suis sorti avec une fille pendant un semestre, au lycée. C'était ma première copine. Elle était jolie, populaire, et moi j'étais hyper prêt à vivre la romance de ma vie. Alors j'ai suivi le mouvement. Je considérait tout ce qu'elle me donnait comme un trésor, et je lui donnais les miens en échange... J'ai appris plus tard, quand elle m'a largué, que pour elle j'étais juste une sorte de répétition. Elle voulait se faire de l'expérience, avec un gars gentil mais affichable. Et j'étais un parfait candidat puisque je venais d'entrer dans une équipe de sport.