Chapitre 1 - Naos

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La musique qui passait dans mes oreilles était entraînante tandis que je laissais mon esprit s'envoler devant mon ordinateur. Mes doigts dansaient sur les touches tandis que je me laissais happer par ma réalité. Dans mon crâne, deux personnages étaient en pleine action, lames crissant l'une contre l'autre tandis que l'un semblait faiblir. Alors que je m'apprêtais à donner le coup de grâce, une voix perça :

« Naos ! »

J'en sursautais avant de grogner contre mon aîné. Je me tournais vers lui, vers sa carrure de titan, son air renfrogné et ses sourcils redressés. Deux yeux verts, entourés de cils blonds me sondèrent. Je soupirais.

« Quoi, Dean ? »

Dean était en réalité mon demi-frère, nous ne partagions ni le même sang ni le même physique mais nos parents étaient ensembles, a posteriori de nos naissances. Nous étions aussi contraire l'un à l'autre que l'étaient le soleil et la lune. Je me forçais à ne pas rire seul à ma pensée. Je passais une main dans mes cheveux châtains. Mes yeux scrutèrent Dean, qui me dévisageait. Je me notais que j'exagérais, nous avions tous deux des peaux mats.

« Les parents nous attendent, grouilles, m'indiqua-t-il. »

Je lorgnais mon ordinateur avec envie. J'avais prévu de passer ma nuit avec mes deux personnages, ma musique et la pénombre. Voilà qui était compromis pour je-ne-savais-quoi.

« Fais chié, grognais-je alors en laissant mon visage retomber en arrière. »

Je poussais un profond soupir, et me forçais à me redresser. Dean avait disparu en l'espace de ces quelques secondes, sûrement reparti rejoindre ma mère et son père. J'attrapais les premiers vêtements qui me venaient, après m'être relevé, sous la main : de couleur noire et me donnant des airs de rockeurs. J'enfilais ma veste en simili cuir et me chaussais de mes rangers avant de rejoindre le salon, un étage plus bas. Le casque autour de mon cou, je devinais les habits propre de mon beau-père, et ceux de ma mère. Je gémissais, devinant que nous allions sûrement à un événement public. Ma mère fronça ses sourcils :

« Naos, tu devrais mieux te vêtir. »

J'arquais un sourcil, laissant mon air rebelle s'afficher.

« Et renier mon style de rebelle du dimanche ? m'offusquais-je faussement. Jamais Maman. Je laisse à Dean paraître parfait. »

Je décochais un sourire moqueur à mon demi-frère, aîné de quelques mois, qui roula des yeux, tout en jouant avec le bouton de sa manche. Ce signe indiquait qu'il était nerveux ou agacé. Au choix. Nous nous entendions, sans pour autant être proches. Nous avions toujours conservé une distance. Ainsi, nous vivions dans le sillage de l'autre sans jamais se rencontrer vraiment. Cela suffisait à nos parents, et nous aussi. Il n'y avait ainsi pas de tensions, pas de prises de tête. Je me dirigeais donc, sur les pas de mon demi-frère, vers l'extérieur de notre modeste demeure. Après quelques mètres, je me glissais dans la voiture qui venait d'être déloquée. Mon pieds vint de lui-même se poser sur mon genoux tandis que Dean, qui était entré à son tour, se racla la gorge pour attirer mon regard et m'inviter du sien à me positionner correctement. Je levais mes orbes au ciel, marmonnant un grognement à son encontre. Le moteur ronronna ensuite, et je me hâtais à glisser mon casque sur mes oreilles. Je fermais un instant mes paupières, m'enfonçais dans le siège tout en me rappelant que mon père biologique voyageait depuis des années dans le monde, que ma mère s'était mise avec Carl quelques années auparavant et que j'avais découvert qu'un de mes camarades de classe, auquel je ne portais pas grand intérêt, était devenu mon frère par alliance. Désormais, trois ans étaient passés après le mariage, cinq depuis que nous vivions ensemble, et je venais d'avoir 17 ans. Une cohabitation qui s'était rapidement, puisqu'au contraire du soleil à mes côtés, j'étais l'ombre et je préférais donc me terrer dans ma chambre à rêvasser et refaire le monde qu'à sortir et copiner. J'avais peu d'amis, et cela me suffisait. Dans le même temps, je savais que j'attirais les regards avec mon oreille et ma lèvre percée, mon style rebelle et ma propension à ne jamais suivre les cours mais à dormir où écrire. On me décrivait comme un « bad boy » alors que j'étais simplement un « rien à foutre ». On murmurait des désolations pour Dean qui avait un boulet sous son toit. Une information que ma mère savait, consciente de ma mauvaise volonté. Alors que ma relation avec ma mère flirtait avec la provocation, celle de Dean et elle était toute autre, expliquée aussi par le fait qu'il avait perdu sa mère jeune et n'avait connu que l'autorité de son père, flic à ses heures perdues. Je me disais que j'avais eu bien plus de chance que lui, n'ayant pas un père autoritaire et une mère qui tentait de l'être en vain, le tout accentué par mes vacances d'étés aux quatre coins du monde, liés à la propension de mon père à avoir la bougeotte. Une année, je m'étais retrouvé au Brésil, l'année suivante j'étais allé en Thaïlande. Il m'avait appris que l'école n'était pas ce qui faisait un Homme. Dean n'avait connu que notre ville et tentait de s'enraciner autant que son père avait réussi à faire. Il était bien plus assidu en cours, bien plus sportif et social. Il souhaitait être quelqu'un quand je ne désirais qu'être dans une jungle. Je lui jetais un œil, puisque mes pensées étaient tournées vers lui, et remarquais que son regard était tourné vers la fenêtre. J'étais concerné par ce besoin de reconnaissance qu'il portait. Même si nous n'avions aucune dynamique de proximité et de réelle amicalité, il faisait désormais parti de ma famille tout comme Carl son père. Même si nous n'étions une famille que de nom, que je me sentais parfois un spectateur, j'espérais tout de même le meilleur pour eux.

***

Je détonnais vraiment parmi les invités. Coincé dans un coin, au loin des gens, j'observais le monde politique et lambda se côtoyer. Ici et là, des collègues et élus bossant à la mairie se parlaient. C'était ainsi que nos parents s'étaient rencontrés. Ma mère était juriste quand son père était policier municipal. Par le passé, elle avait été avocate et il avait été militaire. La vie les avait amené là, sur ces postes et en cet endroit. Je portais un verre à ma bouche, les regardant tous. Je détestais les vernissages, encore plus y participer. Or, ils avaient besoin de monde. Ironique alors qu'il y avait du monde. Tous s'extasiaient ici et là, Dean comprit.

« Je déteste ces événements, bredouillais-je pour moi-même. »

Je jetais donc un œil vers la sortie et ne fut pas long à me décider. Je connaissais le quartier. J'allais prendre un café dans celui du coin et attendre que la torture se finisse pour eux. Je le fis donc sans aucune cérémonie, laissant juste un texte à Dean par acquis de conscience. Quand mes pas foulèrent le sol bétonné, je me sentis plus léger. J'avais l'impression d'être bien plus à ma place ici qu'ailleurs, dans ces quatre murs. J'avançais sur les trottoirs, croisant quelques individus, et finis par atteindre mon but. J'entrais dans le petit café intimiste, cozy et sympathique. Je repérais un canapé dans le fond, et m'y dirigeais tout en cherchant ma carte bancaire, coincée dans mon portefeuille que je prenais toujours sur moi lorsque je sortais. Je m'installais confortablement et scrutais le lieu lumineux emplit de meubles en bois et osier. Je regardais ensuite les curieux qui étaient encore présents à ces heures-là. Plusieurs jeunes étaient en train de travailler sur leurs ordinateurs, casques sur les oreilles. Mes yeux furent attirer par la silhouette du serveur plutôt mignon.

« Qu'est-ce que je vous sers ? Me dit-il.

-Votre milkshake du jour, s'il-vous-plaît, indiquais-je. »

L'homme acquiesça et s'écarta ensuite. Mes orbes sombres dessinèrent la courbe de son cul. Il se tourna pour ajouter quelque chose mais il remarqua mon regard, et il eut un air amusé. Je fis un rictus insolent à la silhouette qui m'avait interpellée tout en prenant le temps pour dessiner de nouveau ses boucles brunes qui tombaient de part et d'autre de ce visage ciselé, pour planter mes orbes dans les siennes d'un vert d'eau qui étaient encadrés par des lunettes stylisées. Une légère barbe d'un jour, sûrement parce qu'il ne s'était pas rasé le matin, donnait à l'individu plus que son âge. Je ne lui donnais, pourtant, pas plus de vingt-cinq ans. Le serveur me scruta à son tour avec intensité.

« Désirez-vous une douceur ? Me demanda-t-il. »

Je ne pus m'empêcher de sourire tel un prédateur, jouant avec ses mots :

« Une m'intéresserait, mais je ne pense pas qu'il soit l'heure pour la dévorer. »

Le serveur m'offrit un air faussement triste, m'indiquant :

« Je m'en vois désolé. Je vais vous apporter autre chose pour vous réconforter. Un cookie fera l'affaire ? »

Je ne pus m'empêcher de rire.

On dit que les opposés s'attirent...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant