Chapitre 1

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Lilith

"Les larmes sont les mots que le cœur n'a jamais prononcés.

Anonyme."

Tout arrive pour une raison, non ?

Certaines personnes disparaissent de notre vie alors que ça n'avait pas de sens à nos yeux, c'était lorsqu'on s'y attendait le moins. Mais au final, ce n'est pas arrivé par hasard. C'était dans l'unique but de nous donner une leçon de vie, n'est-ce pas ? De nous montrer la douleur sous toutes ses formes, pour pouvoir comprendre que ce qu'on avait avant, c'était ça le bonheur. Mais, on se rend compte qu'on est heureux lorsqu'on ne l'est plus.

Quand vient le moment de revoir ma mère, je dois avouer que je suis un peu nerveuse. Je me pose mille et une questions sur la raison de notre venue, et sur ce qu'elle fait toute seule dans cette campagne paumée. Je regarde mon père que je n'ai sûrement jamais vu aussi stressé, son corps frêle tremblant. La porte s'ouvre sur une vision de ma mère qui me décroche un hoquet de surprise. Ses boucles sont ravissantes, son teint est lumineux, elle porte du rouge à lèvres et sourit de ses plus belles dents. Elle porte un chemisier bleu marine, rentré dans un jean mom qui couvre une partie de ses bottines marrons. Je ne l'ai presque jamais vu comme ça, où en tout cas, je n'en ai pas le souvenir. Elle nous dit d'entrer et nous présente un grand homme. Je me retourne vers mon père ; son visage est décomposé. Ma mère prend le bras de l'homme avec une telle familiarité que mon père semble se décomposer intérieurement. Ma mère constate notre étonnement, et remplace son sourire par une nervosité facilement perceptible. Elle nous dit de nous asseoir en baissant les yeux. On peut remarquer la gêne évidente de l'homme. Tous les quatre assis autour d'une grande table, ma mère prend la parole après de longues secondes d'hésitations.

«- Je vous présente Augustin, mon partenaire.»

Cette phrase semble détruire de plus belle mon père, comme si ma mère venait de lui planter un couteau dans le dos. Je sens une tristesse venir me noyer, petit-à-petit. Soudain, une petite fille arrive à quatre pattes, sa voiture miniature dans les mains, qu'elle fait rouler sur le sol. La petite fille pousse des petits cris, insouciante. J'essaye de me calmer tandis que mon cœur qui s'alourdit. Je sens un immense poids qui m'empêche de respirer. Mon père tremble, il est à la limite de pleurer. Ma mère en nous voyant perdre le contrôle, répète nos noms, comme pour nous faire revenir à la réalité. Mais je n'entends plus sa voix. Ses lèvres remuent, mais je n'entends plus rien. Ses yeux sont grands ouverts, ses sourcils marquent son inquiétude, et je vois mon père quitter la table. Je le suis, il ouvre la porte, que je referme en claquant. On court vers la voiture, où nous nous réfugions à l'intérieur. Mon père ne démarre pas la voiture, il ne fait rien. Après quelques secondes de silence, nous sanglotons fragilement, et je vois mon père frapper violemment le volant. Nous pleurons de longues minutes avant de reprendre la route vers Paris.

Nous avons compris que ma mère n'a pas seulement trouvé un partenaire mais a fait un enfant avec. Ça s'est passé avant qu'elle quitte la ville, et nous avec.

***

L'unique source de lumière provient des lampadaires. Le soleil ne se lève pas avant 8 heures en novembre. Le sol est encore mouillé de la violente pluie qui a inondé Paris hier.
Je marche droit vers les portes d'entrée du lycée, sans prêter attention aux gens de mon âge. Ça ne m'intéresse même plus de savoir qu'on peut me dévisager.
Je le croise dans le couloir, je peux voir son sourire s'étendre jusqu'à ses oreilles à ma présence, tandis que je ne prends même pas la peine d'enlever mes écouteurs pendant qu'il me serre contre lui. Aucun son ne sort de ma bouche, et je reprends ma route. De toute façon, c'est pas comme si je l'aimais.
Je n'enlève pas mes écouteurs en cours de sciences, ma masse de cheveux les couvre assez bien. Je regarde les gouttes de pluie tomber unes à unes sur le sol de la cour. La musique me projette dans un autre univers. J'ai toujours le regard dans le vide, emportée dans mes pensées. Le prof de sciences ne cherche pas à m'interroger, les professeurs de lycées ne tiennent pas la main à leurs élèves.

«- T'as pas l'air bien en ce moment, me lance Harley en récréation.
- Ouais.»

Elle pousse un soupir et range son téléphone, pour se concentrer sur mon état.

«- Ça se voit pas que tu l'aimes, continue-t-elle.
- Qui t'as dit que je l'aimais ?
- Il est si heureux avec toi.
- Et donc ? Je vais le rendre malheureux si je continue c'est ça ?
- Tu ne lui donnes pas d'affection, me reproche-t-elle.
- Il n'a qu'à aller voir Scarlett pour ça.»

La sonnerie la coupe dans ce qu'elle s'apprêtait à dire. Je vois bien qu'elle est contrariée. Elle dit toujours que Rowan est la chance de ma vie, et que je ne dois pas tout gâcher entre nous. Seulement, j'aime pas qu'on me dise ce que je dois faire.
Quand je sors avec Rowan, c'est toujours pareil. Est-ce de l'amour ? De l'amitié ? C'était mon ami avant que je décide de sortir avec lui pour retrouver le calme et le confort.

J'en avais marre de risquer ma vie à chaque fois que je voyais mon copain.

En l'enlaçant, je peux sentir son odeur de coco, c'est réconfortant. Il utilise toujours ce savon. C'est ce que j'aime le plus chez lui – et c'est peut-être la seule chose que j'aime encore chez lui d'ailleurs, la sécurité. Je n'ai jamais peur de quoi que ce soit. C'est la seule qualité que je retiens.
Il arrête de m'enlacer, et me présente son meilleur ami dont il m'a tant parlé. Jordan, un peu gêné, me salue d'un hochement de tête, pendant que je le scrute de haut en bas. Ses ondulations trempées font couler des gouttes d'eau sur le sol et sur son sweat-shirt gris. Il porte un jean loose noir, des basket blanches et une fine chaîne autour du cou. On dirait qu'il cherche à se donner un style de skateur. Je le salue en retour. Il nous quitte en me regardant une dernière fois, un sourire amical aux lèvres. J'esquisse un léger sourire avant qu'il se retourne, et continue son chemin.
Je ne tarde pas à rentrer, la nuit étant déjà tombée depuis longtemps. Quand j'arrive, mon père n'est pas là, il est sûrement au bar. La télévision est allumée, encore ce chanteur de merde, une certaine rage s'empare de moi, je change de chaîne.

Always trust our feelingsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant