Chapitre 25

8 4 0
                                    

Lilith

«L'amour est une rose, chaque pétale est une illusion, et chaque épine une réalité.
Alfred de Musset.
»

J'entre dans une vaste salle, qui semble être vidée pour l'occasion. Je dois être la première puisqu'il n'y a qu'une enseignante dans la salle, qui me salue. Une rangée de chaises sont installées au premier range, devant l'estrade où est situé un micro et une urne sur une table. Je prends place sur la rangée de chaises, concluant qu'il doit s'agir des chaises dédiées aux participantes. Quelques secondes plus tard, une masse de filles de tous les âges ne tarde pas à entrer dans la salle. C'est là, que je regrette pour la énième fois ma présence. Qui va voter pour une pauvre petite seconde ? Le troupeau prend place, debout dans l'espace libre de la salle. Quelques filles auxquelles j'évite soigneusement d'adresser la parole, me rejoignent sur les chaises. Je remarque parmi ces quelques filles, celles qui m'ont abordées l'autre jour. Mon cœur se resserre, mais j'essaye juste d'éviter leurs regards, qui se doivent perçants. Même si une seule de ces filles devraient s'assoir sur les chaises, les cinq prennent place comme s'il s'agissaient de trônes.
Deux dames ferment les portes d'entrées, et l'enseignante du début prend place sur l'estrade. Elle se place devant le micro, et annonce qu'elle appellera les concurrentes unes à unes pour faire un discours, avant que l'ensemble des lycéennes vote pour son discours préféré. Elle regarde sur sa fiche, et lit le nom de la première lycéenne qui doit se présenter. Cette dernière monte sur l'estrade, quelque peu anxieuse, des fiches de discours dans les mains.

«- Je me présente parce que...»

Elle est grande, rousse et ne semble pas tenir sur ses pieds. Elle joue avec ses mains, se distrait dans son discours, et fait tomber ses fiches, et les mélange inconsciemment. On dirait qu'elle a été forcée à se présenter, tant on voit que c'est un calvaire pour elle. Elle fait de son mieux, et je trouve ça admirable de se présenter même si on n'en a pas la force.

«- C'est pour ça que j'espère que vous voterai pour moi.»

Elle sourit, sûrement gênée, et s'assois, ses fiches en mains, sous les applaudissements. Les discours suivants des participantes sont dignes de discours de présidents (beaucoup de promesses, qu'elles nous persuadent de tenir), mais elles semblent attirer le public. La fille que j'ai traité de Barbie prend place sur la scène comme si elle y était habituée. Elle ne s'arrête pas de sourire tout le long, hypocritement. Elle quitte la scène sous les applaudissements. Quand vient mon tour, mon cœur fait un bond dans ma poitrine. J'ai soudain très chaud, et je crois trembler. Je me lève malgré moi, et me dirige vers le micro. Je me rappelle pourquoi je suis là, avant de commencer. Je ne veux pas bâcler mon discours, je veux honorer ma grand-mère. Je veux lui prouver que je peux soutenir ses idées. J'ai l'impression que lorsque je commencerai à parler, le micro ne sera pas d'accord, et émettra un son strident. Je finis enfin par me décider à commencer, après avoir vu une fille du deuxième rang sortir son téléphone d'ennui.

«- Pour moi...une représentante du lycée doit être capable de soutenir ses idées, et les idées des lycéennes pour les mettre en avant. Je commence, essayant de prendre le temps pour respirer. Je pense notamment aux exclusions de cours à cause de notre tenue. Les garçons ont-ils droits à des sanctions pour leur tenue ? L'excuse de l'éducation est de nous dire que le lycée est notre lieu de travail, qu'il faut donc s'habiller en conséquence. Mais eux-mêmes devraient savoir que ce n'est pas le cas. Le lycée n'est pas que notre lieu de travail, je dirais que c'est même notre lieu de vie. C'est ici que nous passons toute notre journée, et nous y consacrons tout notre travail personnel chez nous. Nous vivons constamment dans ce cadre stressant, même quand nous ne sommes pas à l'école car on sait qu'on devra se lever tôt le lendemain à cause de ça, et qu'on sera fatigué parce qu'on a une vie à côté malgré tout. On sait qu'on ne peut pas s'amuser à cause de ça. Et, en tant que fille, une charge nous est rajoutée, on ne peut pas s'habiller comme on le souhaite à cause de ça. Le lycée, n'est pas que notre lieu de travail, sinon à quoi servirait les récréations ? C'est le lieu où nous rencontrons des gens. Le lieu où on est nous-même, où on se découvre. Mais être nous-même peut impliquer de porter une jupe. Si on respecte ses règles, c'est pour empêcher certains comportements des garçons. C'est absurde. Les garçons sont curieux, et nous devons en payer le prix, alors que nous ne cherchons pas à être désirées. Moi je dis qu'il ne faut pas protéger les filles en leur interdisant de porter des jupes, mais éduquer les garçons !»

La confiance n'est pas mon point fort, mais je pense m'être plutôt bien débrouillée. J'ai juste dit ce que j'avais sur le cœur, et c'est le plus important. Je m'assois, fièrement sous les applaudissements. Les enseignants se regardent, gênés que mon intervention aille à l'encontre des règles de l'éducation. Je ne serai sûrement pas choisie, mais peu importe, j'ai réussi à faire passer mon message. Et ma grand-mère serait fière de moi.

***

«Il faut qu'on parle»

Ce n'est pas le genre de message que je m'attends à recevoir de Jordan. Je m'inquiète. Je n'ai rien fait de mal, hein ? Peut-être que c'est simplement sa manière de m'annoncer une bonne nouvelle ? Ou de me dire que quelque chose de mal lui est arrivé ? Putain, j'ai peur.
Je sors de chez moi, laissant mon père seul à l'allure un peu triste, sûrement en train de penser à mamie. Je le rejoins dans la rue. IL est là, il m'attend, stoïque, la mâchoire serrée. Je m'approche de lui, hésitante, les bras ouverts. Il m'enlace, tendrement, mais à la fois rudement. Comme si c'était la dernière fois. Je lève la tête vers lui, faisant une grimace.

«- Qu'est-ce qui se passe ? je demande, d'un ton clair et net.»

Il se détache de moi, et évite mon regard. Je commence à flipper. Son comportement m'inquiète.

«- Je veux pas te dire ça...avoue-t-il en me regardant enfin dans les yeux, ayant l'air dépité.
- Me dire quoi ?
- On...on est trop attaché l'un à l'autre, dit-il en se brisant la voix.
- Hein ?»

Il détourne une nouvelle fois la tête, prétendant ne pas pleurer. Mon cœur bat à toute vitesse tandis que je cherche son regard.

«- Je suis pas prête pour ça, je lui dit d'un ton rudement désapprobateur.
- Moi non plus, répond-t-il perdu.
- Alors pourquoi t'es en train de faire ça ? Je...je réalise même pas pourquoi...Tu ne peux pas faire ça...je dis, sentant les larmes monter en moi, et l'espoir s'envoler.
- J'ai pas le choix.
- C'est Rowan ? Il t'a dit quelque chose ? je lui demande, perdant le contrôle.
- Non...c'est juste que tu as besoin de t'en sortir toute seule.
- Arrête...S'il te plait arrête...dis-je, pleurant à chaudes larmes.
- Tu ne...devrais pas avoir besoin de moi, peine-t-il à prononcer.
- Mais j'ai besoin de toi. Ma...ma vie est une catastrophe sans toi.
- Tu vas t'en sortir. Tu seras fière de toi après.
- Tais-toi...S'il te plait, tais-toi, ne continue pas...»

Je passe une main sur mon visage, n'essayant même pas d'essuyer le flot de larmes coulant.

«- Je t'aime tu sais...argumente-t-il.
- Non, s'il te plait ne dis pas ça. N'ose pas...dire que tu fais ça par amour...Je ne te crois pas. C'est pas terminé.
- Je te jure, que je veux juste ton bien.
- Pourquoi tu me détruis alors ? Avec...tout ce qu'on a construit...Tu fais ça ? T'étais sensé être différent des autres. J'ai cru que tu allais me réparer, m'aider, pas m'abandonner.»

Je chute sur le dernier mot, qui est rude. Je regarde derrière moi. J'ai même plus envie de le regarder. Je me retourne pourtant quelques secondes après.

«- Avec toi, j'étais entière. Si tu pars, tu prends une partie de moi avec toi.»

Il me regarde, à court d'arguments. Voyant qu'il ne dit rien pour contredire tout ce qu'il a dit auparavant, je baisse la tête. C'est trop tard. Je le regarde une dernière fois, des larmes coulent sur ses joues, mais je n'aurais jamais pitié. Je suis juste brisée, par sa faute. Je sais même pas ce que j'attends. Il ne me dira pas qu'il a changé d'avis...

«- Je... je suis désolé, Lilith.
- C'est tout ce que tu as à dire ? je lui demande, d'une voix presque rêche.»

Il hoche la tête, l'air presque aussi accablé que moi. Je lui adresse un dernier regard. Un regard plein de haine, d'amour, de force et de faiblesse. Je me retourne, et je pars. C'est fini, et ça s'est finit ainsi.

J'avais raison à chaque fois que j'ai douté. On ne peut faire confiance qu'à soi-même.

--------------------------------------------------------------
Merci beaucoup d'avoir lu, est d'être nombreux :)
Si vous appréciez, vous pouvez appuyer sur le bouton pour voter (l'étoile)

Always trust our feelingsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant