Chapitre 21

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Jordan

« L'avenir nous tourmente, le passé nous retient, c'est pour ça que le présent nous échappe ».
Gustave Flaubert.»

Ava arrive, 15 minutes après le début du cours. Ses cheveux sont défaits, dans un bazar désordonné, et elle n'est même pas un petit peu maquillée. On dirait qu'elle a coupé elle-même ses cheveux, au milieu de la nuit. Elle semble sombrer entre tristesse et fatigue. Les élèves chuchotent en la dévisageant.
Si elle n'a même pas pris le temps de se maquiller, c'est qu'il se passe quelque chose de grave. Elle ressemble à un vrai zombie, et cela ne semble pas l'alerter plus que ça. C'est inquiétant. Ça parait si irréaliste.
La cloche sonne, et elle reste molle sur sa chaise.
Je sais que je ne vais pas résister. Je ne peux pas la laisser dans cet état.
Quand elle se décide à sortir de la classe, je la rattrape en l'interpellant. Elle se retourne vers moi, et en me remarquant, elle semble déjà avoir meilleure mine.

«- Tu veux discuter ? je lui demande, ce à quoi elle répond par une hésitation suivie d'un hochement de tête mal assuré.»

Je la suis dans la cour, sous les regards de quelques élèves se demandant probablement si on s'est remis ensemble.
Elle s'assoit, fébrilement.

«- Tout va bien ? je lui demande.
- Pourquoi ? me demande-t-elle sur la défensive.
- Parce que t'as l'air à deux doigts de la mort.
- Ca ne te concerne pas, dit-elle, après un silence.
- S'il te plait Ava, je la supplie.
- En fait si, ça te concerne, finit-elle pas avouer, fatiguée de nier. Il n'y a plus rien qui va dans ma vie.
- Dis en moi plus.
- La pression scolaire, mes amies de merde, et putain, toi.
- Moi ?
- Tu t'en fous de moi, alors que je vis pour toi. Je t'ai toujours aimé, et je t'aimerais jusqu'à mon dernier souffle.
- Je ne comprends pas...
- Non, tu ne comprends jamais rien. Tu m'as quitté. Jamais je n'aurais pu le faire.
- Mais tu ne me montrais plus d'amour.
- Et tu n'as pas cherché à savoir pourquoi. Tu m'as juste quitté. Tu ne t'ai pas dit que j'allais peut-être mal personnellement, non, ça ne t'as même pas effleuré.»

Je la regarde. Je la regarde autrement. Comme je ne l'ai jamais regardé auparavant. Ses yeux noirs profonds, sa peau couleur caramel. Ce n'est pas une pétasse égocentrique. C'est juste une adolescente perdue. Et c'est que maintenant que je le vois.

«- Et maintenant je suis seule pour toujours, dit-elle.
- Ne dis pas ça, je lui réponds, me sentant coupable.
- Je ne pourrais jamais aimer quelqu'un d'autre que toi Jordan, tu comprends ça ?!
- Mais, et Bruce ?
- T'es vraiment con...dit-elle en me fixant avec amertume.
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse ?
- Rien. Je ne peux pas te forcer à m'aimer, même si j'ai essayé.
- Mon cœur est déjà pris, je réponds.
- Ouais, je sais. La meuf aux cheveux rouges.
- Tu devrais passer à autre chose je pense. Pour ton bonheur.
- Bon c'est bon on a fini de parler, dit-elle, haineuse.
- Mais on n'a toujours pas arrangé la situation.
- Ca va jamais s'arranger, Jordan. L'amour, on le contrôle pas.
- Mais...Tu ne peux pas essayer de te détacher de moi ?
- Je ne te parlerai plus, si c'est ce que tu veux savoir.»

Sur ce, elle se lève et repart, dans une destination probablement choisie aléatoirement.
Et si, depuis le début de notre relation, c'était vraiment moi qui avais merdé. Je n'avais jamais imaginé qu'elle pouvait être malheureuse. Son physique prouvait le contraire. Et je me suis trop fié aux apparences.

***

Nous ne venons pas souvent voir ma grand-mère paternelle au cimetière. On y dépose quelques fleurs, à l'occasion. Je me balade ensuite à travers les multiples tombes. J'observe les photos déposées sur la pierre. Je me questionne sur la vie des personnes en question, sur leur existence. Est-ce qu'ils ont toujours été heureux, où n'était-ce que sur les photos ? Comment leur famille vit-elle ? Les enfants, c'est ceux qui me font le plus de peine. Ils sont morts trop tôt, j'imagine leurs proches s'en mordre les doigts.
Mes yeux se baladent sur plusieurs noms, plusieurs photos, plusieurs vies. Mais lorsque je vois ce nom, mes yeux ne peuvent s'en détacher.

Ruby SanMy
14 ans.

Sur la photo, une adolescente aux yeux bridés sourit dans le métro. On peut comprendre que cette photo a été prise à son insu, mais elle reste très jolie dessus. Son regard est plein d'insouciance, de joie et de liberté. En voyant cette photo, jamais nous n'aurions pu nous imaginer que cette fille est morte. Je repense aux larmes de Lilith en évoquant cette fille, je repense à son chagrin.
Elle avait l'air extraordinaire. Elle avait l'air pleine de vie, joyeuse. Elle ne méritait pas de mourir maintenant. Elle devait découvrir toutes les autres belles choses de la vie. Elle méritait de sourire encore, de rire, de donner de l'amour à Lilith. Quoiqu'il en soit, personne ne mérite de mourir.

Le deuil est un océan de chagrin dans lequel il est trop facile de se noyer. Et Lilith aurait pu facilement se noyer.

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Merci beaucoup d'avoir lu :)
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