Always trust our feelings

Chapitre 4

Lilith

«On a tous besoin d'être guéris.
Vinca A.»

Est-ce que j'ai l'air de vouloir sortir un dimanche après-midi ? Non, mais est-ce que j'ai vraiment envie de voir Rowan déçu pour le restant de sa vie ? Non plus... Il prévient que Jordan sera aussi là, étant donné qu'il veut qu'on se rencontre plus sérieusement.
Une fois arrivé au parc, je ne le vois pas. Je tourne la tête dans tous les sens, mais aucune trace de lui. Je lui envoie un message. Il ne répond pas. Il répond toujours d'habitude. Il ne doit pas avoir de wifi. Mais pourquoi ?
Je me retourne et vois la silhouette de Jordan. On se regarde au loin quelques secondes qui paraissent interminables, avant de se résoudre à marcher l'un vers l'autre. Au fur et à mesure que je me rapproche de lui, je sens une boule se former dans mon ventre. La gêne est présente sur nos visages. On est maintenant l'un en face de l'autre, et je ne peux étouffer un rire nerveux. Il rigole un peu avec moi, le temps de deux secondes. Je lui montre les messages que j'ai envoyé à Rowan pour lui expliquer la situation.
Je redresse la tête vers son visage, et peux remarquer qu'il n'a aucune idée de ce qui lui est arrivé. Une certaine marge d'espace nous sépare pendant de longues minutes. Des minutes où il essaye de l'appeler sur son téléphone, mais en vain, il est injoignable. On reste là, sans rien dire.

«- Si ça se trouve, il s'est fait écrasé par un camion, dit-il, pour casser le silence pesant entre nous.
- C'est très rassurant merci, je rétorque.
- Oui mais si ça se trouve c'est la vérité.
- Si ça se trouve il s'est fait kidnapper. C'est fréquent de nos jours, je continue.
- Peut-être.
- On va attendre combien de temps ?
- Bonne question, répond-t-il.»

Je pousse un soupir d'épuisement avant de m'assoir sur un banc derrière nous. Je le regarde consulter son téléphone, n'osant pas me regarder. Je le regarde longtemps. Je scrute chaque détail de son apparence. Sa posture masculine, son jean loose bleu foncé, recouvert par son pull oversize, et ses ondulations qui prennent fin au niveau de ses sourcils. C'est ce que j'ai eu le temps d'étudier avant qu'il ne se retourne vers moi, me prenant sur le fait. Je retourne vivement la tête, mais je sais qu'il m'a vu le regarder. Je le sais grâce au léger sourire qu'il laisse apparaître sur son visage.
Il pousse un soupir, juste comme moi, avant de s'asseoir à mes côtés sur le banc.

«- C'est la première fois que je vois Rowan en retard, commence-t-il.
- Il n'est jamais en retard.
- Il a dû se passer quelque chose.
- Peut-être.
- Tu n'es pas plus inquiète que ça ? me demande-t-il.
- Pourquoi je devrais l'être ?
- Une fille normale serait en train de courir dans tous les sens en criant le nom de son copain.
- Et bien je ne suis pas une fille normale, je rétorque.
- Une fille normale aurait des paillettes dans les yeux en voyant son copain, continue-t-il.
- Il y a longtemps qu'il n'y a plus de paillettes dans mes yeux, je réponds, d'un ton à la fois blasé, et énervé de son insistance, ce qui le laisse sans réponse.»

Mon téléphone se met à sonner dans mon sac. Je retiens un hoquet de surprise quand je vois le nom de ma mère s'afficher.

«- Tu ne réponds pas ? dit-il en me voyant figée face à mon téléphone.
- Non, dis-je en refusant l'appel.»

Il fait la moue, signe qu'il trouve que ce n'est pas normal. Je le vois regarder mon téléphone par-dessus mon épaule quand je reçois un message de ma mère :

«On devrait prendre le temps de parler.»

Je sens un mélange de colère et de douleur envahir mon corps.

«- Tu vas bien ? me demande-t-il, un peu nerveux, ne sachant pas comment réagir.»

J'ai l'impression qu'on me transperce un couteau dans le cœur, autant douloureux que cela puisse être. Comment ma mère peut-elle oser vouloir me reparler après tout ce qui s'est passé ? Comment peut-elle espérer que je veuille lui parler ?
J'essaye de reprendre mes esprits mais c'est comme si un énorme trou noir essayait de m'engloutir. Ce trou noir me montre des images de ma mère en train de pleurer à table, des images de mon père au téléphone, mort d'inquiétude, des images de la petite fille jouant avec sa voiture, des images de Ruby, souriante. Et c'est là que je craque. Je me mords profondément la lèvre pour éviter de fondre en larmes. Le paysage s'assombrit, je n'arrive qu'à voir Jordan qui se met accroupi devant moi. Il me regarde, ses yeux essayent de chercher les miens, il voudrait comprendre, il voudrait que je relève la tête en souriant, mais c'est plus compliqué que ça.

«- Ça va aller, me dit-il, ce qui me fait peu à peu reprendre mes esprits. Respire, expire, inspire, expire, inspire...
- Je suis vraiment désolé.
- Ce n'est rien.
- On dirait que t'as l'habitude, lui dis-je.
- Ça arrive à tout le monde de perdre le contrôle. Si tu as besoin d'en parler, je suis là.
- Non, ce n'est rien. A ton avis, Rowan va venir ? je demande, pour changer de sujet.
- S'il voulait venir, il serai déjà là depuis un moment.
- Je vais rentrer alors, dis-je sans pour autant bouger d'un millimètre.»

C'est lui qui se relève le premier. Il attend que je me lève pour me dire au revoir. J'ai l'impression que mes jambes sont lourdes. Tout le poids de ma douleur est dans mes jambes, et je ne réussirai jamais à soulever cette douleur. J'arrive enfin à me lever, et nous sommes face à face. Il me dépasse d'au moins dix centimètres. Je remarque cette fois un détail qui m'avait échappé, une cicatrice sur ses lèvres. Il me salue de la main, et je le salue en retour d'un léger sourire.
Tandis qu'il s'éloigne, je regarde quelques instants les feuilles mortes sur le sol. Autrefois ces feuilles étaient pleines de couleurs et de vie. Mais à cause des évènements de la vie, elles ont petit à petit perdues leurs couleurs et leur éclat. Elles se sont assombries, elle se sont perdues entre les épreuves de la vie, elles ont laissées leur âme dans le passé. Elles ne sont plus qu'un vieux souvenir.

Un peu comme moi.

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