35. La Malédiction de Noël

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Hildur, queen of the Elves, conte islandais compilé dans le recueil Nordic Tales, illustré par Ulla Thynell, Chronicle Books, 2019.

Il était une fois, dans la campagne du royaume Herzkönig, une ferme riche et prospère. Le fermier était un homme jovial et bienveillant, généreux avec ses employés, agréable avec ses voisins. Comme il ne s'était jamais marié, les affaires de sa maison reposaient entre les mains de son intendante, Hildur. C'était une femme incroyablement efficace et compétente, d'une gentillesse remarquable, et toute la maisonnée l'appréciait grandement.

Tout allait pour le mieux dans cette belle ferme, à ceci près que Heimir, le fermier, avait toujours le plus grand mal à trouver un berger à engager. C'était un souci d'importance, car le bien-être de la ferme ne dépendait pas qu'un peu du soin apporté à son troupeau. Cette difficulté ne venait pas d'un tort d'Heimir ou de la négligence d'Hildur, mais du fait qu'aucun des bergers engagés au service de cette ferme n'avait vécu plus d'un an, chacun d'entre eux retrouvé mort dans son lit le matin de Noël. Ce n'était donc guère surprenant que les bergers à engager se fassent rare autour de la ferme d'Heimir.

En Herzkönig, la coutume voulait que l'on passe la nuit de Noël à l'église, pour la messe de minuit. Mais la ferme d'Heimir était si loin de l'église que les bergers, ramenant leur troupeau tard dans la soirée, étaient dans l'incapacité d'atteindre l'église à temps pour la messe. Quant à Hildur, son travail la retenait également à la ferme, l'empêchant de se rendre à l'église avec le reste de la maisonnée.

Bien sûr, plus il y avait de rumeurs courant au sujet des morts mystérieuses et régulières de ces bergers durant la nuit de Noël, et plus il devenait difficile pour Heimir de trouver quelqu'un à embaucher. Pourtant, personne n'imaginait que violence ait été faite à ces malheureux, car chacun était parfaitement heureux de travailler dans cette ferme, jusqu'à son trépas, et il n'y avait aucun suspect possible. Alors, après dix ans de ce manège, Heimir résolut de ne plus embaucher de berger et de s'occuper lui-même de ses moutons si possible, ou bien que les moutons se débrouillent par eux-mêmes.

On était alors le lendemain de Noël, et l'on venait d'enterrer le dixième berger à périr de cette curieuse malédiction. Moins d'une semaine plus tard, un homme se présenta à la ferme, au tout début de l'année. Il avait l'air solide comme un roc, avec de larges épaules capables de porter le poids du monde, et un air à la fois doux et résolu alors qu'il annonçait vouloir proposer ses services en tant que berger.

— Mon bon ami, répondit Heimir, je ne suis pas assez désespéré pour vous embaucher.

— Avez-vous déjà engagé un berger ? demanda l'homme, qui s'appelait Sindri.

— Non, car vous connaissez sans doute le terrible sort subi par chacun des bergers engagés à mon service.

— J'en ai entendu parler, répondit tranquillement l'homme. Mais la crainte de ce sort ne m'empêchera pas de garder les moutons pour vous, si vous acceptez toutefois de m'engager.

Cependant, Heimir ne voulait certainement plus causer la mort de quiconque, et encore moins d'un homme dans la force de l'âge, au large sourire et aux yeux rieurs. Sindri ne méritait pas de perdre la vie si tôt, et serait plus sage de chercher un emploi ailleurs. Mais le berger ne voulut rien entendre et répéta fermement qu'il ne craignait pas la nuit de Noël et qu'il voulait entrer à son service. Alors, de guerre lasse, Heimir finit par accepter et l'engager.

De toute l'année qui s'ensuivit, jamais le fermier ne regretta d'avoir pris Sindri à son service. À vrai dire, tout le monde appréciait le berger, car il était honnête et agréable, avide de bien faire, et toujours prêt à donner un coup de main à quiconque en avais besoin. En plus de cela, Heimir chérissait sa compagnie, ses sourires chaleureux et la manière dont ses yeux étincelaient lorsqu'il riait. Tant et si bien que, lorsqu'arriva Noël, les deux étaient tombés éperdument amoureux l'un de l'autre. Pour cette raison, Heimir prit la décision de ne pas se rendre à la messe, cette année-là.

Contes pour attendre NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant