Contes pour attendre Noël

27. Le Bûcheron Solitaire

Conte original, librement inspiré des œuvres de Tom Booth (tomwilltell sur Instagram) et de la chanson Cahin-Caha du groupe Mes Souliers Sont Rouges.

Il était une fois, dans la vaste forêt qui séparait Blancheterre de Valvert, un village de bûcherons et de charbonniers. La vie était rude, si loin de la ville et de tout, et les hommes qui vivaient là étaient aussi solides et silencieux que les arbres qu'ils coupaient à longueur de journée. Parmi eux, beaucoup avaient une famille installée dans un village plus proche de la lisière de la forêt, et ils s'en retournaient près d'eux à chaque fin de semaine, avant d'aller vendre leur bois et leur charbon à la ville.

Mais il y en avait un qui n'avait personne. De tous les bûcherons, celui-ci était plus solide et plus silencieux que les autres. Plus triste, aussi. Parce qu'il ne parlait jamais, ses compagnons ignoraient son nom et avaient pris l'habitude de l'appeler simplement Tom. C'était un homme beau et fort comme un grand chêne, qui n'était jamais le dernier lorsqu'il s'agissait de donner un coup de main et qui était celui que l'on appelait lorsqu'il fallait abattre un arbre trop lourd et large pour qu'un seul homme puisse s'en occuper.

La plupart du temps, Tom était celui qui s'enfonçait au plus profond de la forêt, sans crainte des bêtes qui y rôdaient, pour s'assurer de toujours ramener le meilleur bois au village afin que les autres bûcherons en fassent des bûches pour les cheminées de la ville. Et il était celui qui restait toujours seul au milieu des sombres cabanes lorsque ses compagnons s'en allaient retrouver leurs familles. Il ne parlait jamais, et il ne souriait pas non plus, parce que la solitude est la plus constante des compagnes, mais elle est loin d'être la plus agréable.

Et Tom était malheureux, ça, tout le monde pouvait le voir. Lui qui avait tout perdu, ses parents, ses frères et ses sœurs, tous emportés par la méchante épidémie qui avait frappé ces terres autrefois, il ne rêvait que d'avoir quelqu'un près de lui à nouveau. Quelqu'un à aimer de tout son cœur, de toutes ses forces. Quelqu'un à qui sourire et à qui parler. Mais au plus profond de la forêt, parmi les arbres et les buissons, qui aurait-il pu rencontrer ?

Un jour comme ça, alors qu'il était encore plus seul, assis sur le tronc qu'il venait de couper, il soupira profondément et regarda la bûche qu'il tenait dans les mains. Pris d'une soudaine inspiration, il sortit son couteau et commença à sculpter le bois. Petit à petit, sous ses gros doigts plus habiles qu'ils n'y paraissaient, un visage commença à apparaître. C'était celui d'un homme, presque encore un jeune homme, qui lui souriait avec une grande tendresse. En le voyant, Tom laissa tomber son couteau, et se mit à pleurer.

Après cela, il prit l'habitude de graver et sculpter chaque arbre qu'il abattait, peuplant la forêt de la silhouette gracieuse de cet inconnu. Dans sa misérable cabane, le jeune homme de bois se fit de plus en plus présent, ici c'était simplement son visage souriant, ici il dansait avec joie sur le manteau de la cheminée, ici encore il était assis en tailleur avec un livre sur les genoux... Tom ne parvenait plus à se le sortir de la tête et le faisait apparaître partout avec un très grand soin, parfois sur un morceau de bois minuscule, parfois sur un tronc si grand que le jeune homme faisait deux fois sa taille. Il finit par en tomber amoureux, et n'en fut pas plus heureux pour autant, parce qu'il réalisait qu'un amour impossible était encore plus douloureux qu'une simple solitude.

A l'approche de l'hiver, avec le froid qui se faisait de plus en plus présent, sa tristesse se fit plus lourde. Tous les autres bûcherons parlaient de ce qu'ils allaient faire avec l'argent de la vente du bois, des cadeaux qu'ils comptaient acheter pour le Noël de leurs enfants et de la grande fête lumineuse et chaleureuse qu'ils allaient partager. Comme chaque année, ils invitèrent Tom, mais ce dernier n'avait pas envie de participer aux festivités en se sentant plus seul que jamais, de regarder toutes ces familles heureuses sans avoir son bien-aimé réellement à ses côtés.