13. Le bonheur ne tient parfois qu'à un clou

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Le Clou, conte recueilli par Henri Pourrat dans son recueil Le Trésor des Contes, livre II publié en 1949.

Il était une fois, dans le royaume Herzkönig, un jeune paysan qui s'en alla au marché un matin d'hiver, pour aller chercher de quoi préparer le repas de Noël. Sa mère lui avait préparé une liste de choses à acheter afin de cuisiner le pudding et l'oie grasse, et il la glissa dans la poche de son grand manteau. Ses bottes fourrées aux pieds, Marius quitta la petite maison coquette nichée dans la neige, et il s'en fut gaiement sur la route du marché. Le matin était neuf, le ciel bleu était immense et le soleil brillait timidement au-dessus de l'étincelant tapis immaculé. C'était une belle journée, deux semaines avant Noël, et Marius sifflotait en marchant.

Après avoir traversé la forêt ornée de givre, le jeune homme grimpa la colline et croisa de l'autre côté un cavalier qui avait mis pied à terre. Sa monture était une jument élégante, à la robe douce et aux grands yeux bruns, tout à fait digne des riches habits de l'homme qui se tenait à ses côtés. Ce dernier devait probablement être le fils du seigneur voisin car il était vêtu de belles fourrures passées sur un vêtement de brocard et de velours.

— Bonjour ! le salua poliment Marius. Avez-vous un souci ?

— Oh, bonjour ! répondit le cavalier en se redressant.

Il avait l'air jeune, davantage ce que ce Marius avait cru au premier abord. En vérité, ils devaient avoir à peu près le même âge.

— Je crois que ma jument a perdu un clou, continua l'autre. Son fer a un peu de jeu.

Par réflexe, Marius regarda autour de lui et aperçut un peu plus loin le clou en question qui tranchait sur la neige foulée. Il alla le ramasser, puis le tendit au cavalier.

— Le voici, vous ne l'avez pas perdu bien loin.

— Vous pouvez le garder, sourit le cavalier. Je suis bientôt rendu au château de mon père, le forgeron ajustera son fer un peu plus solidement, ne vous en faites pas.

Troublé par son sourire, Marius resta un instant immobile à le regarder un peu sottement. Il n'avait jamais songé que le fils du seigneur — puisque c'était bien lui — puisse être aussi charmant et ne savait pas trop quoi songer de cette constatation. Rougissant, il finit par détourner le regard.

— Que ferai-je d'un clou ? tenta-t-il.

— Je ne sais pas, répondit le cavalier sans perdre son beau sourire. Vous lui trouverez bien une utilité !

Le rouge sur les joues du paysan lui plaisait et il ne résista pas au plaisir de grimper en selle avec un peu plus d'emphase que nécessaire, ajustant sa cape avec un grand mouvement supplémentaire, rien que pour voir un éclat d'admiration s'allumer dans les beaux yeux qui le regardaient. Cela fonctionna et il s'en trouva bêtement heureux.

— Allons, dit-il, je vous ai bien assez retardé comme cela ! Bonne journée, mon ami !

— Bonne journée !

Sur un signe de la main, ils se séparèrent et reprirent chacun leur route. Son humeur encore améliorée par cette charmante rencontre, Marius glissa le clou dans sa poche puis continua à marcher d'un pas léger. Au bas de la colline, il vit un carrosse qui avait versé dans le fossé et dont l'une des roues s'était échappée à dix pas de là. Le voyageur désespérait à côté de sa voiture accidentée et il s'approcha de Marius sitôt qu'il l'aperçut.

— Brave homme, si vous m'aidez à réparer le dommage, je vous récompenserai. Il me faut être à vingt lieues d'ici avant ce soir !

Prêt à aider, Marius s'approcha du carrosse et observa attentivement la roue. Un cahot dissimulé sous la neige avait dû faire sauter tout le mécanisme et le clou qui servait de clavette dans l'essieu était parti, ce qui avait libéré la roue. Le jeune paysan fit part de cette observation au voyageur qui hocha la tête avec empressement.

Contes pour attendre NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant