20. Un sabot pour une fée

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Les Sabots du Petit Wolff, conte écrit par François Coppée dans son recueil Contes Rapides, publié en 1888.

Il était une fois, dans la capitale de Gladprins où se trouvait encore la statue du Prince Heureux, un garçon orphelin qui vivait chez une vieille tante dure et avare qui ne l'embrassait qu'au jour de l'an et qui poussait un grand soupir chaque fois qu'elle devait lui servir à manger. Mais le jeune Wolff avait si bon cœur qu'il aimait tout de même la vieille femme car elle était le seul membre de sa famille qui lui restait.

Puisque la tante du garçon était connue dans toute la ville comme étant assez aisée et ayant pignon sur rue grâce au commerce florissant de son défunt mari, elle n'avait pas osé envoyer son neveu à l'école des pauvres. Cependant, elle avait tellement chicané et marchandé pour obtenir un rabais à l'inscription que le maître de classe s'en était vexé et faisait payer au garçon l'avarice de sa tante. Parmi tous les élèves, fils de bourgeois et de notables, il dénotait avec ses pauvres habits élimés qu'il avait maintes fois reprisés, mais aussi avec le sourire qui ne le quittait presque jamais. Là où ses camarades comptaient sur l'aide de leurs parents, lui n'avait rien d'autre que son esprit et il travaillait très dur pour réussir ses exercices. Il était courageux et patient, deux qualités dont ses camarades étaient dépourvus car tout leur était toujours accordé sans effort de leur part.

Par conséquent, le fait que le jeune Wolff soit mal vêtu mais plus intelligent qu'eux déplaisait très fortement aux autres garçons de sa classe qui avaient fait de lui leur souffre-douleur, ce qui lui avait très vite appris à ne pas se faire remarquer. Les années passèrent et le jeune homme grandit en étant malheureux comme les pierres du chemin. Malgré tout, sa gentillesse naturelle le poussait à cacher son chagrin pour aller aider les autres, même s'il en retirait bien peu de reconnaissance.

Lorsqu'arriva la veille de Noël, alors que le Prince Heureux s'éveillait dans la mansarde d'un jeune couturier, le maître de la grande école fut chargé de la mission de conduire tous ses élèves à la messe de minuit avant de les confier à leurs familles. L'hiver était très froid cette année-là, et il était tombé une grande quantité de neige dans les jours précédents. Tous les garçons arrivèrent donc au rendez-vous chaudement emmitouflés, leurs bonnets fourrés enfoncés sur les oreilles, d'épais manteaux sur le dos, les mains nichées dans de bons gants de tricot et les pieds protégés dans des grosses bottines bordées de fourrure. Seul Wolff se présenta grelottant dans ses habits de tous les dimanches, ses pieds blottis dans de vieux chaussons élimés calés dans de lourds sabots.

— Regardez-le ! se moqua l'un de ses camarades. Wolff a confondu Noël avec la fête du printemps ! Voyez comme il s'est habillé !

— Tiens, regarde Wolff ! C'est de la neige qu'il y a au sol, pas du sucre glace ! Goûte !

Et les garçons de lui envoyer des boules de neige qui achevèrent de le frigorifier. Tout occupé à souffler sur ses doigts gelés, Wolff ne protesta pas et les autres ne s'arrêtèrent qu'à l'appel du maître.

— Les garçons, allons ! Vous allez gâter vos gants.

Sans un regard pour le pauvre Wolff, le professeur rangea ses turbulents élèves deux par deux puis se mit en route pour la cathédrale toute resplendissante de cierges allumés. Il y faisait bon à l'intérieur avec toutes ces lumières et ces gens assemblés, il y avait de la musique, de l'orgue et des chants, et toutes ces merveilles firent oublier à Wolff le froid qui lui gelait les os. Profitant du bruit ambiant, les garçons commencèrent à bavarder à mi-voix sur les réveillons qui les attendaient dans leurs familles.

— Avant de partir, confia le fils du bourgmestre, j'ai vu une oie monstrueuse tachetée de truffes comme un léopard !

— Eh bien moi, rétorqua le fils du premier échevin, j'ai aperçu un immense sapin dans une caisse, que les domestiques décoraient d'oranges, de sucreries et de beaux objets brillants.

Contes pour attendre NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant