1. Aline

47 11 4
                                    

L'aube de ce matin est grise. Grise comme le cœur poussiéreux d'Aline qui court, son casque vissé sur les oreilles tandis que le monde se réveille lentement. Dans l'aube, quelques nuages filent au ralenti pendant que tout s'active et bouge, les yeux bleus de l'adolescente presque adulte captent les quelques oiseaux qui s'envolent pour suivre les premiers rayons de soleil.

Et elle court. Encore. Comme chaque matin. Jamais elle n'a oublié de se lever pour courir dans l'aube grise afin de devancer le réveil général du monde. Elle fait ça depuis qu'elle a douze ans et n'a jamais dérogé à la règle : courir avant tout le monde. Sauf une fois, lors de l'année de ses quinze ans pour cause exceptionnelle, une cause qui l'a empêchée de courir pendant quelques mois.

Son corps s'alourdit, sa peau se couvre d'une pellicule de sueur, quelques mèches blondes se collent contre son front et sa nuque tandis que ses joues rosissent à cause de la fraîcheur du matin et du sport. Aline a bientôt fini son parcours de course car, déjà, au loin, elle aperçoit sa maison à l'autre bout de la rue.

Les Lacroix sont un peu nombreux : le père Lacroix, Aline, et les petits derniers qui sont Emmanuel, Emily et Cléo. La mère d'Aline est partie suite au divorce avec son mari, malheureusement sans avoir pu gagner la garde de sa fille. Les trois petits ont des mères différentes, des femmes de passage qui s'installent le temps de la grossesse puis d'un an ou deux, juste pour s'assurer que Michel Lacroix prend bien en charge le bébé. Puis elles se barrent sans un regard en arrière.

Au final, c'est Aline qui s'en charge la plupart du temps, même quand elle est blessée. Surtout quand elle est blessée. Elle a promis. Et une promesse, c'est une promesse, on ne revient pas dessus.

La blonde arrive enfin devant chez elle et croise son père qui s'en va pour aller travailler. À peine un regard plus tard, la voiture s'éloigne, Michel à son bord tandis que l'adolescente met son casque autour de son cou en entrant dans la bâtisse.

— Emmanuel, Emily, Cléo, vous êtes réveillés ? s'écrie la jeune fille en s'avançant dans le couloir de l'entrée, une main sur la rampe d'escalier.

Des rires s'échappent de l'étage où se trouvent les chambres des trois gamins, de leur père, ainsi que le bureau de ce dernier. Aline soupire, comprenant qu'elle va devoir jouer au chat et à la souris avec les trois fripouilles.

Elle grimpe les marches de l'escalier, évitant les endroits où le bois craque, espérant surprendre les trois farceurs qui doivent sans doute rire dans un coin pour leur blague. Lentement, elle décide de retirer ses chaussures de sport pour continuer d'avancer en chaussettes.

— Eh, oh ! Je vous parle !

La blonde décide de se signaler pour espérer entendre une réaction du reste de sa fratrie. Ça ne rate pas : des rires proviennent du grenier aménagé qu'est sa chambre. Un sourire carnassier décore ses lèvres tandis qu'elle entreprend l'ascension du deuxième escalier, s'arrêtant juste devant la porte, comme une bête sauvage qui attend le bon moment pour frapper.

Vu le silence, les trois terreurs doivent se demander où elle est passée, alors Aline attend, et sa patience est récompensée par l'ouverture de la porte par Emily qui sursaute et crie avant de filer, Emmanuel et Cléo criant en écho.

— Bon, les terreurs ! On arrête les bêtises et on s'habille pendant que je prends une douche et que je m'habille aussi. Emmanuel et Emily, vous mettrez la table du petit-déjeuner pendant que je mets ses chaussures à Cléo. Compris, les mouflets ?

— Cheffe, oui, cheffe ! s'écrient les enfants en filant au premier pour suivre les consignes de leur grande sœur, non sans rire encore.

La grande blonde soupire, retenant le début d'un sourire. Elle les aime bien ces mômes, même s'ils prennent parfois un peu trop de place. Pendant que ces derniers s'exécutent, la jeune fille attrape sa serviette et son gel douche avant de prendre la direction du premier étage pour aller s'enfermer dans l'immense salle de bain où, bizarrement, trône une plante verte achetée par son père sur un coup de tête à la naissance d'Emmanuel.

Aline pose ses affaires et enlève lentement ses vêtements, grimaçant légèrement en touchant le bleu - encore récent - qui décore son ventre, regardant l'état de l'autre bleu sur son bras gauche - celui-ci vire au jaune. Elle fait la moue avant de filer sous l'eau tiède pour se laver en quatrième vitesse.

Lorsqu'elle ressort de la douche, l'adolescente sursaute en découvrant Cléo sur le seuil et qui attrape sa serviette, trainant son doudou et suçant sa tétine. C'est ainsi que les deux filles grimpent au grenier, puis en étant assise sur le lit, Cléo observe sa grande sœur qui s'habille, cachant ses yeux le temps qu'Aline enfile ses sous-vêtements.

— Alors, petite crevette, on met les chaussures ? demande doucement cette maman de remplacement en souriant à la gamine.

— Voui ! gazouille la petite brune en battant des pieds.

Et c'est en fredonnant une berceuse de son enfance qu'Aline met ses chaussures à la petite Cléo, cette dernière souriant car elle apprécie grandement ce genre de moments où elle est seule avec cette presque femme.

En parlant de femme, il y en a une qui sort de la chambre du père des Lacroix en bâillant, vêtue dans le peignoir de Michel. Elle salue Aline et Cléo qui descendent du grenier, les suivant dans l'escalier pour rejoindre Emmanuel et Emily qui, miracle !, ont fini de mettre la table pour le petit-déjeuner, comme convenu.

— Coucou, Lucie ! s'écrient les deux garnements en allant chercher la tasse qu'ils ont attribuée à Lucie, la nouvelle amante ou copine de leur père, ils ne savent plus et ne veulent pas savoir.

Lucie, c'est bien l'une des rares femmes que les enfants apprécient même si elle ne sera pas là longtemps vu le caractère de Michel. D'ailleurs, même Aline l'apprécie, notamment parce que Lucie lui a appris quelques notions de maquillage et autres choses que les filles "normales" de l'âge d'Aline peuvent bien faire, puis parfois Lucie vient courir avec Aline qui apprécie tous ces petits efforts pour la mettre à l'aise malgré les bleus que cette trentenaire a pu apercevoir.

— Lucie, tu sauras emmener Emmanuel et Emily à l'école ? Je m'occuperai de Cléo, demande la blonde en beurrant sa tartine pendant que les enfants déjeunent.

— Bien sûr, ça ne me dérange pas, va !

L'adolescente sourit, ça fait du bien de ne pas devoir toujours tout gérer toute seule de temps en temps.

EscapeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant