7. Mallory

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Assise à son bureau, la rousse regarde ses documents sur son ordinateur, fixant son devoir tout en tapotant son bras gauche, bandé et coloré déjà par le rouge de son sang qui suinte de ses plaies comme un venin.

Mallory grimace, apercevant tout cela du coin de l'œil. Elle ferme les yeux et balance sa tête en arrière pour prendre une inspiration et sortir des pensées cohérentes de son esprit agité.

— J'ai recommencé. Je suis si faible que ça ?

Ses mains passent sur son visage, un soupir s'échappe de ses lèvres tandis que ses jambes tremblent à cause de sa position instable sur sa chaise à roulettes. Si elle se penche encore, elle tombe. L'étudiante finit par se remettre droite, recommençant à fixer l'écran de son ordinateur qui l'éclaire de sa douce et fantomatique lueur bleutée.

— Bon, ce devoir... murmure-t-elle dans le calme étrange qui l'entoure.

Ses doigts cliquent sur les touches, ses yeux cherchent. Où est passé son devoir ? Elle est sûre de ne pas y avoir touché depuis qu'elle l'a imprimé hier soir après l'avoir fini. Pourtant, malgré ses fouilles jusqu'au fin fond du disque dur, elle ne le trouve pas. L'angoisse lui tord le ventre, ses lèvres tremblent.

— Merde.

Mallory s'agite sur sa chaise, ses jambes tremblent tandis qu'elle se triture les neurones jusqu'à en avoir mal au crâne. Silencieusement, son inconscient la maudit de ne pas mettre de mot de passe à son ordinateur, ou du moins, un mot de passe plus recherché que celui qu'elle a actuellement. Ce n'est pas la première fois que ses devoirs disparaissent et qu'elle doive tout recommencer en une semaine pour maintenir sa bourse, maintenant elle comprend que quelqu'un profite des rares fois où elle laisse son sac dans la salle, juste le temps pour elle d'aller se chercher quelque chose au distributeur dans le couloir, pour effacer ses devoirs importants qui demandent du temps, beaucoup de temps, alors qu'elle est persuadée de les avoir rendus dans la matinée.

Un nom s'impose dans son esprit, allant jusqu'à s'imprimer contre ses paupières quand elle ferme les yeux pour réfléchir et chercher une solution : Naomi. La seule qui se soit suffisamment rapprochée d'elle pour que Mallory baisse la garde lorsqu'elle tape son mot de passe ou lui fasse confiance pour surveiller ses affaires quand elle va au distributeur. Évidemment.

L'étudiante se lève de sa chaise, ferme son ordinateur, refusant de travailler ce soir, et va s'asseoir sur son lit pour regarder par la fenêtre ouverte. L'air frais lui caresse sa peau nue, c'est agréable. Elle ferme les yeux, profitant de la brise, et enlève à l'aveugle son pantalon et son top pour finir en sous-vêtements. La lune baigne sa peau claire et l'illumine, la rendant aussi pâle qu'un vampire, peut-être aussi belle. Qui sait ?

Mallory passe ses mains sur son corps, ce corps qu'elle aime et déteste à la fois, essayant de se le réapproprier comme chaque soir. Les autres lui ont volé son amour des gens, jusqu'à son amour d'elle-même, elle n'arrive pas à pardonner un tel acte. C'est à peine si on lui fournit encore une identité vu le peu de fois où on l'appelle par son prénom.

Elle stoppe ses caresses. Elle ne se caresse pas afin de s'exciter, non, elle se caresse comme une mère caresserait le dos de son enfant pour qu'il dorme, comme des amoureux se caresseraient les bras et les mains pour se dire "Je t'aime" en silence. Elle veut redécouvrir son corps, ce corps qui a maigri avec le temps et qui s'est couvert de cicatrices pour cacher les fissures dans le mental et le cœur de Mallory.

Un son strident lui fait ouvrir les yeux, son téléphone sonne sur une mélodie de Chopin ou Voltaire. Sa mère, probablement, qui veut entendre sa voix puisqu'elle ne peut la voir. La rousse attrape son portable, accepte l'appel en se roulant en boule, les pupilles vertes tournées vers ce ciel dont elle s'imagine parfois faire partie quand rien ne va.

Ça va ?

Pas de "Allô ?", pas de "Bonjour". Rien de tout ça avec Syrielle Beaulieu, la génitrice de Mallory, qui porte bien son nom en se comportant comme une princesse parfois. Une princesse excentrique et haute en couleurs.

— Ça va.

Tant mieux, tant mieux.

Ou comment mentir sur comment elle se sent vraiment. L'étudiante entend si bien les questions que refuse de poser sa mère, ça lui brûle l'oreille, voire tout le corps à vrai dire. Tout ça parce qu'elle ne rentre plus pour les vacances, mais... Est-ce sa faute si elle ne veut pas que sa mère juge sa maigreur ou ses cicatrices qui lui piquent actuellement l'épiderme ?

— Et toi ? Et papa ? demande la jeune femme pour guider la conversation dans une direction qui ne la concerne pas, ou plus.

Il n'en faut pas plus à Syrielle pour raconter la dernière lubie du père Beaulieu : la chasse. A moitié absente, un peu consciente, l'étudiante écoute sa mère déblatérer sur les voisins qui encouragent la lubie de la chasse en y participant aussi, mais également sur la vie du village : la boulangère qui semble avoir rencontré quelqu'un puisqu'elle a de nouveau le sourire, le boucher qui inculque sa passion de la viande et du saucisson à son plus jeune fils, l'aîné des voisins qui demande des nouvelles de la fille Beaulieu dont il serait secrètement amoureux. Mallory tique à cette partie, quasiment sûre que sa mère l'a inventée pour piquer sa curiosité afin qu'elle vienne élucider ça comme la grande fille qu'elle est.

A vingt-et-une heures, la rousse fait mine d'être fatiguée pour abréger le monologue incessant de sa génitrice qui finit enfin par lui souhaiter une bonne nuit avant de raccrocher. La jeune femme a l'impression de revenir d'un autre monde, un monde où personne ne lui fait de mal.

Tapotant l'écran de son téléphone, elle lance lovely et ferme les yeux, appréciant la musique. Sa tête s'enfonce contre ses jambes pour se loger entre ses genoux tandis qu'une de ses mains défait sa tresse de cheveux roux. Si elle n'avait pas cours demain, elle serait bien restée comme ça.

EscapeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant