19. Mallory

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Mallory fait les cent pas dans son studio, se repassant encore et encore la scène qui s'était déroulée chez Victoire. Ah, quelle idiote ! Quelle idiote, quelle idiote, quelle idiote ! Ah, elle en a fait une belle là ! Ses mains passent et repassent sur son visage, lui griffant presque le visage. Le stress et l'angoisse la rongent, la peur lui bouffe les entrailles. Ah, Camille allait bien s'amuser avec les autres !

Elle s'accroupit, à deux doigts de s'arracher les cheveux. Soudainement, elle craque, ses nerfs lâchent et elle pleure comme une madeleine dans les vêtements de Victoire. Oh, merde, ses vêtements ! Et puis zut, au point où elle en est, c'est le cadet de ses soucis.

Qu'est-ce qu'ils vont dire, les autres, les monstres ? Ces derniers vont la rendre folle. Ils lui tournent autour comme des moustiques, comme une meute de bêtes sauvages, prêts à la bouffer toute entière. Pire, ils la bouffent vivante. Ils la dévorent. La dissèquent. La rongent.

Tout son corps la brûle, ses cicatrices la démangent. Elle va devenir folle. Elle va être la folle parmi les fous ! Oui ! Elle l'est déjà, non ? Après tout, ils lui disent d'aller en psychiatrie quand elle a le malheur de se plaindre un peu trop fort...

Son téléphone sonne. Une fois, deux fois, trois fois. Qui cherche à la joindre ? A peine regarde-t-elle son téléphone que l'écran s'éteint déjà. Pour mieux se remettre à sonner ensuite. Mallory recule jusqu'à coller son dos contre le mur. Non. Non. Non ! Les monstres ne l'auront pas. Ils ne l'auront pas. Ils ne la mangeront pas vivante. Pas aujourd'hui.

Les larmes continuent de couler, exprimant en silence une peine trop forte pour être expliquée avec des mots. Mallory n'essaie plus de les essuyer. Ses yeux rougissent sous les perles d'eau salée qui débordent longtemps de ses beaux yeux. Très longtemps.

Quand ses larmes se tarissent enfin, la jeune fille ne sait plus l'heure qu'il est. Elle sait simplement qu'elle a faim, qu'elle a mal, qu'elle a froid. Qu'elle a mal à la tête. Qu'elle a la gorge nouée.

Comment vont agir les autres ? Vont-ils se moquer ? Être dégoutés ? La rejeter à nouveau ? La bousculer ? Face à toutes ces questions, la rousse n'a qu'une envie : hurler jusqu'à se déchirer les cordes vocales. Mieux ! Elle voudrait ne plus exister. S'endormir un beau jour sans jamais se réveiller.

— Tout va bien, dit-elle à voix haute. Tout va bien. Tout va bien. Pas vrai ?

Seul l'implacable silence lui répond. Le silence lui semble être assourdissant. Alors, elle cherche ses écouteurs avant de mettre une musique en route aléatoirement. Ses battements de cœur se calment lentement, sa respiration ralentit enfin. Tout va bien.

Le temps passe sans qu'elle ne sache trop comment. Tout lui semble long et lourd. Comme du miel qui s'étire, ou le fromage qui s'effiloche sans fin d'un croque-monsieur. Face à ces comparaisons, Mallory éclate de rire. D'un rire qui dérange, d'un rire un peu fou. Le genre qui colle la frousse dans le noir. Puis après cet éclat, elle revient à la réalité, à sa faim et à son froid.

La rousse se lève et allume le chauffage en grelottant. Puis elle se dirige vers la petite cuisine étudiante du studio afin de fouiller les placards. Elle trouve un paquet de biscottes. Son ventre gargouille.

Comme un animal qui n'a pas mangé depuis des lustres, elle croque les biscottes et les dévorent de la même façon que les monstres qui la dévorent en silence.

Dans l'étrange silence, elle a l'impression de flotter, de tanguer. Sa tête lui tourne encore un peu. La rouquine fait quelques pas, sent ses jambes se dérober et la rudesse du sol qui cogne contre ses genoux.

Les secondes passent. Personne ne vient. Ou chacun fait semblant de ne pas avoir entendu le son qu'elle a fait en tombant.

En tremblant, elle se relève. Et titube jusqu'à la salle de bain. La glace du miroir lui renvoie l'image d'une folle qui sort ou entre en prison. Oui, elle était folle. Depuis longtemps.

— Je suis folle.

L'affirmation plane un instant avant de mourir dans le silence qui bourdonne aux oreilles de la jeune femme.

Folle. Ce mot tourne en boucle dans sa tête tandis que ses pensées se cognent contre ses tempes. Elle a l'impression d'être sous l'eau. Puis de suffoquer. Ses doigts fouillent les objets posés sur le rebord de l'évier blanc. Le rasoir finit dans sa paume.

Pour la première fois depuis qu'elle a commencé, l'adolescente se demande pourquoi elle fait ça. Pour se soulager ? Se punir ? Concentrer sa douleur sur toutes les coupures qu'elle s'inflige ? Ou tout simplement parce qu'elle est trop lâche pour en finir ? Sûrement tout ça à la fois.

Sa peau rougit sous la lame. Les gouttes de sang perlent et suintent de ses blessures. Puis coulent le long de ses bras pour atterrir dans l'évier à un rythme régulier.

— Je suis folle.

Mallory observe à nouveau son reflet dans l'imposant miroir. Et elle rigole encore. Dessine même un visage souriant sur la glace à l'aide de son sang rouge foncé, comme une grenade.

Mais le smiley pleure des larmes de sang. Ça agace la rousse qui essuie rageusement son dessin du plat de la main avant de se laisser tomber par terre puis de s'allonger sur le carrelage froid.

Encore cette impression de tanguer, de flotter. Au rythme de quoi ? De son esprit ? Son esprit est fou et lui impose des rythmes infernaux. Des rythmes qu'elle suit malgré tout.

— Folle. Dingue. Voilà ce que je suis.

Ses pensées partent dans tous les sens, impossible pour elle de les suivre au risque de se perdre dans ce labyrinthe mental. Alors, elle se contente de fermer les yeux, de laisser le temps mielleux s'écouler comme il l'entend, et ses pensées tanguer au rythme d'un tempo inconnu.

Elle croit entendre la musique de son téléphone au loin. Ça l'amuse et elle ricane. Selon elle, c'est définitif  : elle a complètement perdu la tête. Elle est folle.

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