2. Silas

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Debout devant le miroir de la chambre à coucher, Silas observe son reflet d'un œil critique, ne sachant pas trop quoi faire de ses mains. Est-ce que le costume fait trop ? Ou est-ce le bouquet de fleurs dans sa main droite ? La cravate peut-être ? Ou bien la coupe de cheveux ?

Le jeune homme grimace. Vingt-quatre ans et toujours incapable d'être à l'aise dans un costume pour sa copine. Sa grimace est vite remplacée par un sourire lorsque ses pensées se tournent vers Juliette à qui il souhaite faire une surprise en ayant cuisiné un repas digne d'un restaurant quatre étoiles à l'ambiance romantique.

Pas totalement satisfait de son apparence, Silas va malgré tout s'asseoir à la table de la cuisine où deux chandelles éclairent doucement l'espace tandis que les couverts en argent reflètent la flamme des bougies, les plats restant bien au chaud dans le four. Il pose son bouquet sur la table pour ne pas l'abîmer et attend.

Il est patient, Silas, tellement patient que lorsque sonne onze heures du soir, il envoie simplement un message à la belle Juliette pour lui demander quand est-ce qu'elle va rentrer, lui disant que le repas est prêt et qu'il n'attend plus qu'elle. Silas s'inquiète un peu tout de même, Juliette était censée être de retour il y a deux heures.

Mais il ne s'inquiète pas : après deux ans de relation, il sait que le travail de Juliette lui prend parfois plus de temps que prévu. Surtout les réunions qui s'attardent tard dans la nuit.

Juliette — 23h15 :
Mange sans moi, je serai de retour quand tu seras couché.

Silas — 23h17 :
Je préfère t'attendre.

Pas de réponse, juste le signe que le message a été lu par Juliette. Silas s'en contente pendant toute l'heure qui suit. Bon, il commence à faire chaud dans l'appartement, en même temps on est au mois de juin. Le jeune homme défait alors sa cravate et enlève sa veste de costume qu'il pose sur le dossier de sa chaise, prêt à attendre encore.

Minuit sonne. Puis vient minuit et demi. Silas regarde s'il n'a pas reçu de message de Juliette, constatant que non, il décide d'aller prendre l'air, ça lui fera du bien et l'aidera à se détendre. Enfin... il espère !

Pour ne pas déranger les voisins qui dorment depuis longtemps, le noiraud prend son temps, privilégiant les escaliers à cet ascenseur qui le rend malade à chaque fois qu'il le prend pour faire plaisir à Juliette. Durant sa descente, il se questionne sur Juliette : Juliette et ses retours tard le soir à cause des réunions avec les autres du Conseil des Élèves, Juliette et ses réflexes de cacher l'écran de son téléphone dès que Silas y jette un coup d'œil sans faire exprès, Juliette et ses absences quand Silas lui parle, Juliette et son comportement étrange quand il lui prend la main dans la rue ou à l'université. L'étudiant y est habitué, même si ça le peine parfois. De temps en temps, il se dit qu'il la gêne, ou juste qu'elle est timide.

Deuxième étage. Silas grogne contre le fait qu'il n'a pas pris son paquet de cigarettes, ni son briquet pour fumer une clope en attendant que Juliette daigne réapparaitre chez eux. Comme à chaque fois, il se contentera de l'excuse qu'elle n'a pas vu le temps passer et qu'elle est fatiguée, qu'ils en parleront demain car, à cause de la fatigue, elle n'a pas le temps d'entendre les protestations ou les inquiétudes de Silas. Évidemment, ils n'en parlent jamais le lendemain, Silas voit bien que son mutisme arrange souvent sa copine. Ça l'attriste un peu plus, mais il continue de croire en Juliette parce qu'il l'aime. Mais, c'est vrai que, parfois, il se demande si Juliette l'aime aussi, quand il est allongé dans le lit, tard dans la nuit, avec sa belle qui dort à côté de lui.

Mains dans les poches, il continue de descendre, gardant ses pensées pour lui comme il l'a toujours fait. Tout ce qui le concerne, que ce soit ce qu'il aime ou déteste, voire l'indiffère, Silas le garde pour lui, s'effaçant pour les autres, ceux qui vivent vraiment leur vie. Pas comme lui, en somme. Quoique, avec Claire et Emma, il se permet d'être un peu plus lui, enfin, celui qu'il croit être lui. C'est difficile pour le noiraud de comprendre tout ça, ça fait si longtemps qu'il fonctionne d'une façon qu'il en a oublié les autres. Peut-on être soi quand on ne sait plus si on l'est vraiment ?

Avec son épaule, l'étudiant pousse la porte qui mène au sas de l'immeuble, l'espèce de hall d'entrée bloqué entre deux portes, celle qu'il vient de pousser et celle près de la rue. Soudain, dans cet espèce de sas où il fait à la fois chaud et froid, peu importe le temps, Silas Destombes se fige tandis que ses poings se serrent dans ses poches et que les larmes lui piquent les yeux. Ses cheveux sombres lui bouchent la vue, il les écarte d'un geste avant de prendre ses lunettes pour en essuyer les verres afin de s'assurer que la scène qui se passe devant son regard a bien lieu.

Faut croire que oui, car une perle d'eau salée roule le long de sa joue, très vite rejointe par d'autres, ses lèvres tremblent comme celles des enfants, son cœur se serre et semble faner comme une fleur laissée trop longtemps à l'abandon. Il ne sait pas trop pourquoi il reste là, à regarder Juliette qui en embrasse un autre. Cet autre, il finit par le reconnaitre : il s'agit d'Armand, un étudiant de sa classe du département de Littérature. Un gars avec qui il pensait être devenu ami, il y a deux ans, quand ils étaient en première année.

Lentement, Silas décide de prendre une photo, au cas où il en aurait besoin. Puis il envoie un message à Juliette pour voir si elle mentira, car il se doute bien, au vu de la fougue dans les baisers et des mains baladeuses des deux amants, que ce n'est pas la première fois qu'ils font croire à l'étudiant que Juliette est retenue ou en retard à cause d'une raison x ou y.

Silas — 00h58 :
Tu rentres bientôt ?

EscapeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant