5. Aline

35 9 19
                                    

Sac de cours à l'épaule et la main de Cléo dans la sienne, Aline sort de la maison pour amener la petite dernière des Lacroix à la maternelle. La blonde regarde la petite brune qui salue les voisins que les deux sœurs croisent en allant à la maternelle : Cléo est si petite et si jeune qu'on pourrait la prendre pour sa fille si elle n'avait pas les cheveux bruns de Michel et les yeux verts de sa mère partie il y a un moment déjà, malheureusement sous les coups en protégeant Aline.

Aline passe une main sur son ventre en repensant à ces gens qui croient que Cléo est sa fille. Elle est devenue infertile. Son esprit se bloque en y repensant et c'est la légère plainte de la petite dernière des Lacroix qui la ramène sur Terre.

— Désolée, Cléo...

— C'est pas grave ! fait l'enfant en souriant de toutes ses dents. T'as pas fait exprès !

Tant d'innocence dans un si petit être. Ça la rend presque malade, elle qui a quitté depuis longtemps le monde de l'enfance. Lui a-t-on volé son innocence ? Parfois Aline se dit que oui, que son père lui a pris cette innocence qui caractérise si bien les plus jeunes à qui la vie promet une ribambelle de bonnes nouvelles, de réussites et d'exploits. Qu'a reçu la blonde ? Des coups et des insultes, un divorce aussi, et des femmes qui la regardent à peine, la considérant comme l'erreur de leur amant. Si elles savaient... Si elles savaient que Michel, des fois, vient voir son aînée quand il pense qu'elle dort afin de lui déposer une lettre où il s'excuse pour tout alors que ce scénario peut recommencer les jours suivants, ces femmes auraient sans doute pitié de cette enfant a qui on a volé le monde auquel elle rêvait.

Mais voilà, proche de la majorité, la vie décide d'amener Lucie pour qu'Aline ne désespère pas trop malgré la présence d'Elias. L'adolescente remercie parfois le ciel ou ce Dieu auquel elle ne croit pas d'avoir mis la trentenaire sur son chemin, ça l'aide à supporter l'idée qu'elle ne pourrait jamais avoir d'enfant à cause des coups de Michel Lacroix.

Le temps semble s'écouler à nouveau normalement, et Cléo lâche peu à peu la main de sa grande sœur pour courir vers la cour de l'école où l'attendent ses copains et ses copines. Le temps d'une seconde, la petite brune s'arrête, se retourne à la seconde suivante, vient câliner Aline à la seconde d'après avant de filer pour de bon à huit heures. Un dernier coucou de la main, et c'est la grande qui file vers sa propre école.

Une école où ça rit, chuchote, gueule, pleure, sourit. Une école qui vit quand elle se sent un peu morte à l'intérieur. Ignorant royalement les autres, Aline file vers le terrain de basket, dans le gymnase, pour saluer l'entraineur qui ne l'a pas vu depuis des mois à cause de son bras. Une autre blessure. Faite à la course qu'elle a dit. Évidemment qu'il a gobé ce mensonge, comme il avale celui qu'elle lui a raconté pour se changer avant les autres dans les vestiaires.

— Aline ! s'écrie le coach en venant vers elle pendant que l'équipe masculine de basket continue leur match en arrière-plan. Comment ça va depuis le temps, ma grande ? Et ton bras, ça va ?

— Je vais bien, m'sieur. Et mon bras, faut encore attendre un mois selon le docteur. Dommage, hein ? fait la jeune fille en souriant.

L'entraineur soupire, ça l'embête de ne pas l'avoir dans l'équipe depuis des mois, mais bon, on ne rigole pas avec les blessures, mieux vaut laisser tout ça se soigner convenablement.

— Il a dit que je pouvais jouer un peu, mais pas longtemps, juste montrer quelques passes ou tirs, rien de plus, ajoute-t-elle après quelques secondes de presque silence. Vu que vous m'avez trouvé une remplaçante, je peux l'aider.

— Pas besoin.

Pas besoin. Aline se crispe et ça se voit presque dans ses yeux et dans son sourire. Comment ça "Pas besoin" ? Elle est si facile à remplacer ? Ses yeux bleus se plissent tandis qu'elle intercepte la balle avec son bras libre avant de réussir son tir rempli de frustration. Ça doit se sentir vu que le coach et les mecs regardent ailleurs sauf ses pupilles bleues.

— Ce n'est pas contre toi, ma grande, mais j'ai dû mettre en place une nouvelle stratégie d'équipe pour intégrer ta remplaçante correctement. Si tu lui apprends quelques trucs à toi, je vais devoir tout remodifier pour intégrer ça au jeu. Et puis, on ne rigole pas avec les blessures aux bras, donc je préfère que tu ne joues pas, même un peu, histoire que ça guérisse bien.

Aline n'attend même pas la fin de ce monologue empli de pitié, ça lui coupe l'appétit. Merde ! Elle croyait pouvoir enfin rejouer un peu, ça lui manque le basketball, ça lui manque tellement que ça lui picote dans les doigts, mais non, même ça on lui retire.

— Vie de merde... grogne-t-elle en sortant du gymnase pour se réfugier dans les toilettes des filles proches de sa salle de classe.

Elle se réfugie dans une des cabines, éclair blond dans la masse de brunes et de colorations extravagantes, s'enferme et attrape son casque pour écouter Legends Never Die. Paupières closes, elle laisse son cœur battre au rythme de la chanson, elle a presque envie de sécher les cours à cause du coach.

D'un geste, elle rallume son portable, vérifie l'heure et, tout en filant en cours de maths, pianote pour envoyer un message à son meilleur ami pas très recommandable qui n'est autre que le fameux Elias. Ce gars est un concentré d'interdits que la plupart des filles veulent briser, comme quelques mecs d'ailleurs : alcool, cigarettes, chansons tellement grossières que ça choquerait un curé, grossièretés dans toutes les langues - du moins celles qu'il connait -, soirées jusqu'à pas d'heure où l'objectif est de se perdre près de gens tout aussi peu recommandables. Mais Aline l'aime bien ce petit con décoloré.

Aline — 08h28 :
Je peux venir à la fin des cours ?

EscapeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant