8. Gabin

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Assis sur son balcon, ou plutôt, assis sur la partie de l'escalier de secours qui lui sert de balcon, Gabin garde ses yeux rivés vers le ciel qui se colore lentement de rose et de jaune, avec un peu d'orange ici et là, tandis que les dernières étoiles scintillent encore dans le petit jour. Il profite du calme encore présent malgré les quelques voitures qui roulent déjà dans la rue.

Dans sa main, une bouteille de bière vidée dans la nuit. Dans ses yeux, des larmes qui ont rougi le blanc de ses globes oculaires. Et dans son ventre, toujours ce nœud qui refuse de se défaire depuis la disparition de Charlotte.

Le noiraud se relève en entendant le début d'une musique pop et regarde autour de lui avant d'apercevoir la silhouette d'Olivia, deux étages plus bas, sur son balcon couvert de fleurs et de guirlandes. Aussitôt, il entend de l'eau s'écouler avant de voir qu'elle tient son arrosoir bleu en forme d'éléphant afin d'abreuver ses fleurs qui scintillent lorsqu'un rayon de soleil les frappe, se réfléchissant dans les gouttelettes. Gabin se détend et ferme les yeux, appréciant étrangement ce moment depuis qu'il est arrivé là il y a un mois.

Olivia lève la tête et sourit en apercevant ce grand gaillard du sixième étage qui écoute sa routine matinale depuis un mois. Si elle arrive à s'y tenir aussi bien à l'entretien de ses plantes, c'est parce qu'elle peut apercevoir le sourire de Gabin, croissant blanc sur ce corps noir, le seul moment dans la journée où elle peut le voir. Mais elle sait qu'au fond, elle saurait s'y tenir même sans cet énergumène, elle s'invente juste des excuses.

Prenant son courage à deux mains, la jeune femme grimpe silencieusement les escaliers jusqu'au sixième étage. Doucement, elle tapote l'épaule du Chevalier qui sursaute et la regarde, observant malgré lui les taches de vilitigo qui décorent la peau d'Olivia Deschamps.

— Qu'est-ce que tu veux ? grogne-t-il en rentrant pour jeter sa bouteille de bière.

— Je me demandais si tu voulais bien qu'on prenne notre petit-déjeuner ensemble aujourd'hui ? répond-t-elle en s'asseyant sur le rebord de la fenêtre pour l'observer tout en détaillant la décoration de l'appartement assez... vide. Tiens, pourquoi c'est aussi peu décoré chez toi ? Tu sais pas t'y prendre ? Tu veux de l'aide avec la déco ?

— Mêle toi de ce qui te regarde. Et je ne veux pas mourir empoisonné avec tes plats végétariens.

La Deschamps gonfle ses joues comme les enfants, fusillant du regard cet homme qui grogne, râle et se plaint à chaque fois qu'ils discutent. Enfin, c'est surtout elle qui essaye d'avoir des discussions...

— Comme si tu savais mieux cuisiner que moi ! fait la jeune femme sur un ton de défi.

— Joue pas à ça, Deschamps, rétorque Gabin en la regardant, légèrement amusé, un sourire narquois aux lèvres.

— Je joue à ça si je veux, Chevalier, lâche-t-elle en découpant chaque syllabe du nom de famille du noiraud qui s'approche, un torchon sur l'épaule vu qu'il se lavait les mains.

Il lui soulève doucement le menton avec son index, plongeant son regard sombre dans le sien qui brille d'un sourire qu'elle essaye de contenir du mieux qu'elle peut. Olivia rougit lorsqu'il se rapproche et manque de basculer sur le balcon à force de reculer pour tenter de respirer correctement. Faut dire que malgré tout l'alcool bon marché qu'il ingère, Gabin reste musclé, un peu trop au goût de la jeune femme.

Soudain, Gabin lui souffle au visage et elle bascule pour de bon sur le balcon, le faisant exploser de rire tellement sa chute était ridicule. Il se penche pour la regarder tandis qu'elle est divisée entre rire, bouder ou rougir.

— Hors de question que je mange tes petits gâteaux à la carotte, on va manger un petit-déjeuner digne de ce nom fait par mes mains.

— Parce que tu sais te servir de tes dix doigts, toi ? fait Olivia en riant.

Le Chevalier plisse les yeux, passe sa langue sur ses lèvres en la regardant, avant de lâcher :
— Pourquoi cette question ? Tu veux que je te montre tout ce que je peux faire avec mes doigts ?

Aussitôt, Olivia a l'impression que sa peau la brûle tellement elle rougit jusqu'à ressembler à une tomate. Des images obscènes lui traversent l'esprit tandis qu'elle se cache avec ses mains avant de recevoir le torchon sur la tête. Et Gabin qui rit encore de sa tête ! D'ailleurs, il en rajoute une couche.

— A quoi tu penses pour être aussi rouge ?

— A rien du tout !

Il secoue la tête en riant avant de se retourner pour commencer la préparation d'un breakfast aussi anglais qu'il ne parle français. Aussitôt, dans la cuisine du noiraud, ça crépite, ça grille et ça embaume l'air.

Assise au comptoir, Olivia s'étonne de le voir aussi doué en cuisine. Puis elle aperçoit tous les livres de recettes qui trainent sur les étagères ou sur la table basse du salon. Il y a même des magazines sur les plus grands chefs ! Ça la surprend, cet amour de la cuisine, car on ne dirait pas, juste en voyant Gabin, que tout ce monde-là l'intéresse.

En continuant son inspection des lieux depuis sa place sur le tabouret qui fait presque sa taille si on exagère un peu les dires, la jeune femme voit des gants de boxe usés jusqu'à la corde, des chaussures de courses près de la porte d'entrée, des photos de famille sur le meuble télé, quelques plantes faciles à entretenir pour les débutants. Elle se penche pour tenter d'apercevoir les portes de la salle de bain et de la chambre à coucher.

— Oh, la minimoy ! Voilà ta part ! s'exclame Gabin d'un ton bourru en lui posant son assiette et ses couverts.

Prise en flagrant délit, Olivia rougit et se dépêche de se concentrer sur le petit-déjeuner, un sourire aux lèvres en voyant qu'il a respecté ses choix d'alimentation en évitant de lui mettre du lard. Elle frissonne en le sentant passer derrière pour s'asseoir à ses côtés afin de manger en regardant les informations sur son téléphone.

Le noiraud ne dit rien, la laissant tranquille. Pour l'instant.

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