10. Silas

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Dans le lit, au milieu de l'enchevêtrement de couverture, un homme qui peine à ouvrir les yeux malgré les rayons de soleil qui dansent sur ses paupières, ses boucles et son torse. Silas se frotte les yeux en bâillant, cherchant ses lunettes à tâtons d'une main, son téléphone de l'autre. Il se redresse, soupire, met ses lunettes et tourne la tête vers la fenêtre.

Le soleil est haut dans le ciel, ce dernier est bleu. Des nuages blancs filent au loin à une vitesse ridiculement lente pour un être humain. C'est beau ce genre de réveils, mais Silas Destombes peine à apprécier le spectacle : son cœur lui fait mal, son être est vide, sa tête bourdonne. Un nom se répète dans sa tête tandis qu'il essaye de ralentir son réflexe de regarder l'autre moitié du lit. Qui est vide, évidemment.

Juliette. C'est sa première pensée de la matinée et elle lui donne envie de vomir, ou lui donne l'impression que son cœur va éclater sous la pression. Comme une bombe à retardement dont on retient la goupille pour maintenir la pression avant de l'envoyer au loin pour qu'elle explose. Mais le jeune homme ne peut pas lancer son cœur pour qu'il explose ailleurs, sinon il l'aurait déjà fait.

Il se lève, traine des pieds et observe l'heure sur l'horloge de la cuisine. Midi passé. Puis il se rappelle qu'on est samedi, que ce n'est pas si grave s'il a autant dormi. Sa conscience lui rappelle de regarder ses messages, juste au cas où. Aucun d'elle, il a bloqué son numéro, mais bien quelques-uns sur le groupe qu'il partage avec ses deux amies. Un de sa mère, aussi, pour savoir ce qu'il compte faire cet été, après ses examens. Silas n'en a aucune idée.

— Merde.

Il jure de son manque d'idée. C'est bizarre, lui qui ne jure jamais. Bon, l'étudiant se concentre alors sur ses amies, reléguant cette partie de son cerveau au second plan. Pourquoi s'inquiéter de quelque chose dont on n'a aucune idée ?

Claire — 08h15 :
Bonjour ! Bien dormi, les flemmards ?

Emma — 08h23 :
Ta gueule, la matinale.
Mais oui, bien dormi.

Claire — 08h30 :
Et toi, Silas ?

Emma — 08h42 :
Bizarre, il répond pas.
Il dort encore notre littéraire ?

Emma — 09h10 :
Toujours aucune réponse ?

Claire — 09h12 :
Que dalle.
J'aime pas ça.
Silas, allô ??

Emma — 09h18 :
Silas ??
Oh ! T'es debout espèce d'hectémore ?

Claire — 10h40 :
Et toujours rien !
Quasi sûre qu'il a un bad mood tellement ça lui ressemble pas.

Emma — 11h04 :
Mouais, probablement.

Silas esquisse un sourire en s'asseyant sur son canapé, caressant son chat qui vient se lover sur son torse pour ronronner tel un vieux tracteur qui a du mal à démarrer. C'est apaisant, et ça le réchauffe un peu à l'intérieur, ça le rassure aussi. Doucement, il tape une réponse, évitant de dire ce qu'il ressent vraiment.

Silas — 12h13 :
I'm here.
Je me suis endormi tard cette nuit, sorry.

Aussitôt, elles rappliquent, à croire qu'elles n'attendaient que ça pour libérer leur inquiétude.

Claire — 12h16 :
Hmmm.
Mais bien sûr, prends-nous pour des connes, mon petit Silas.
Rdv au café où je travaille. Je suis certaine que t'as pas mangé.

Silas — 12h18 :
C'est pas la peine.

Emma — 12h20 :
T'as crû que t'avais le choix ?
Tu te couches jamais tard, espèce de couillon.
Alors tu t'habilles, parce que je suis là dans une vingtaine de minutes, 15 si je marche vite.

Le jeune homme soupire et pose son avant-bras sur ses yeux, se demandant comment il va expliquer ses yeux rouges à cause de toutes les larmes de cette nuit. Ou les bleus de sa chute dans les escaliers. Faudrait qu'elles voient tout ça. Il se sent déjà épuisé.

Il pousse doucement son chat qui roule pour atterrir sur les coussins du canapé avant d'agiter sa queue et ses oreilles en observant son maître qui retourne dans sa chambre pour s'habiller. Silas fouille les armoires, attrapant un caleçon, une paire de chaussettes, un pantalon large, un t-shirt blanc et un sweat à capuche avec le logo de son université. En attrapant ses baskets, il hésite à mettre des lunettes de soleil, mais dès qu'on toque à sa porte, il abandonne l'idée, se disant qu'il paraitrait trop suspect auprès de ses amies.

Emma est sur le seuil de la porte, ses lunettes de soleil remontées sur son front pour mieux y voir, et lui fait un câlin dès qu'il ouvre la porte. Elle ne dit rien sur ses yeux rouges, préférant que le sujet soit abordé au café où bosse la dernière du trio. Avant de partir, elle s'étonne :
— Juliette n'est pas là ?

Silas a l'impression de se prendre un coup de poing dans le ventre. Qu'il pense à elle est une chose, entendre son prénom prononcé par quelqu'un d'autre en est une autre. Ses pupilles s'assombrissent tellement qu'Emma craint d'avoir commis une boulette. Elle s'apprête à changer de sujet quand il la coupe dans son élan pour lâcher la bombe qui lui brûle la langue et assèche sa gorge.

— Elle ne reviendra plus. Elle est partie. Avec Armand.

Il sourit avant qu'elle ne s'excuse et, mains dans les poches, descend les marches pour y aller. Après quelques secondes, la jeune femme le rejoint et passe son bras au sien, sa tête sur son épaule, silencieuse comme lui. Ce silence a un goût amer, presque acide.

Les deux amis avancent et déambulent dans la rue, marchant toujours dans ce silence religieux. Emma se retient de poser des questions, même si elle en meurt d'envie. Avec Claire, elle avait bien vu qu'un truc se jouait entre Juliette et Armand sans que Silas n'en prenne conscience. Alors le fait que Silas lui dise que cette dernière est passée du stade de copine à ex ! Elle a du mal à y croire. Faut dire que deux ans de relation, ce n'est pas rien. Ça doit tellement peser lourd en sentiments, en souvenirs...

Silas semble sentir son impatience, il sourit tristement et raconte qu'il a surpris les deux cette nuit, qu'il a mis Juliette dehors en comprenant que ce n'était pas la première fois que les deux le menaient en bateau.

Tout ça, il le répète à Claire tout en mangeant des toasts couverts d'avocat et d'un œuf au plat chacun. Pendant qu'il parle, les deux filles se jettent des regards, comprenant qu'elles pensent à la même chose : il semble avoir pris dix ans en une vie. C'est triste. Alors pendant qu'il mange en regardant par la baie vitrée du café, mâchonnant nonchalamment son repas, Claire et Emma se disent qu'il doit se changer les idées. Heureusement que les vacances d'été approchent !

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