22. Silas

17 5 12
                                    

La première pensée de Silas en ce beau jour de début juillet est pour Juliette. Est-elle toujours avec l'autre con ? Tout en se levant, le jeune homme attrape ses lunettes pour les mettre et bâille en s'étirant. Sa deuxième pensée est pour sa valise qu'il doit terminer de remplir. La troisième pour son chat qu'il va falloir amener chez la voisine. Et la quatrième est pour Claire, Matteo et Théo qui vont venir le chercher dans l'heure qui suit.

Il passe une main dans ses bouclettes, soupire et sort de son lit afin de remettre ses couvertures en place, lissant les plis du plat de la main. C'est bizarre, mais il a comme une envie de pleurer et d'annuler les vacances, comme ça, sans explication. Dans ces moments-là, il a l'impression d'être Nate dans la saga La nuit où les étoiles se sont éteintes. Sauf que Nate n'a pas une paire de lunettes sur sa gueule d'ange.

Dans le plus grand silence, le jeune Destombes se change, enfile des vêtements confortables qui rappellent les années 80/90 - selon les dires de certaines. Puis il part avaler ce qu'il peut, juste assez pour faire taire sa faim, avant d'attraper son chat pour le mettre chez sa voisine. Ils échangent un sourire et Silas repart déjà dans son appartement pour terminer de boucler sa valise. Jusqu'à recevoir un message de Claire.

Claire — 08h45 :
SILAS DESTOMBES RAMÈNE TON CUL

Dans un sursaut d'insolence, Silas la laisse dans le silence, fermant son appartement à clé après avoir embarqué sa valise et un petit sac à dos - contenant son portefeuille, son téléphone, ses écouteurs et une photo de son chat. Doucement, lentement, il descend les escaliers jusqu'au hall de l'immeuble, puis débarque sur le trottoir en cherchant sa meilleure amie des yeux.

Claire lui fait signe à côté d'une Renault grise. A côté d'elle, Matteo et Théo jouent au Tetris avec la valise rose bonbon de la jeune fille. En les observant, Silas se dit que s'il est Nate, alors Claire partage le rôle de Kenna avec Emma, et que Matteo et Théo pourraient être Kurt, Jaeger ou les deux à la fois.

— Mon très cher Silas, commence la jeune fille.

— Qu'est-ce qu'il y a, ma très chère Claire ? répond le jeune homme en posant sa valise sur le trottoir, à côté de l'étui à guitare de Théo. Tu veux demander le divorce ?

— Maintenant que tu m'y fais penser, va falloir renouveler nos vœux... Mais non, c'est pas ça ! Dis à ces messieurs que, non, ma valise n'est pas énorme, qu'elle est juste un peu plus large que la moyenne.

— Alors, non, je vais jouer le rôle de la Suisse et rester neutre. J'aurais bien joué la Belgique, mais ce pays s'est fait envahir deux fois par les Allemands alors qu'il était neutre.

Claire lève les yeux au ciel en souriant alors que Matteo pousse un cri de victoire - la partie de Tetris dans le coffre a enfin pris fin. Théo attrape sa guitare et la valise de Silas pour les mettre dans le coffre avant d'obliger tout le monde à monter dans la Renault.

Matteo prend la place passager, Théo est évidemment conducteur, et les deux meilleurs amis posent leurs fesses sur la banquette arrière. La voiture de Leni - une BMW noire - passe à côté d'eux en klaxonnant, Théo démarre pour la suivre. Dès qu'ils quittent la ville, le guitariste met un CD de Bigflo et Oli dans le lecteur pour s'ambiancer avec Matteo, l'un faisant Bigflo, l'autre Oli.

Ils font ça juste pour le plaisir, pour s'amuser, passer le temps. Pour se sentir vivants. Parce qu'ils sont jeunes. Parce que c'est l'été. Parce que c'est comme ça. Alors Matteo et Théo décident de chanter La vie d'après, Oli se faisant jouer par Matteo et Bigflo par Théo. Claire les filme, clamant qu'elle devient reporter de ces vacances entre potes, avec Silas pour regarder ces gens faire alors que lui est un mort-vivant à peine conscient qui se retient de pleurer.

J'écrirai toujours l'amour, tant pis si je passe pour un utopiste
Pour l'artiste imbécile, heureux, petit, je voulais être guerrier
J'ai grandi, j'ai compris que ceux qui veulent la paix sont plus courageux
C'est facile de mettre le feu à une forêt, tellement plus facile que de la planter
Y a mil façons d'avoir raison, la première, c'est d'avouer qu'on s'est trompé

Silas ferme les yeux, écoute sans vraiment être là. Il se perd dans les paroles des deux frères repris par les deux amis. Tout sonne juste dans cette étrange partition réécrite, il n'y a que lui pour faire fausse note. Alors il joue le jeu, comme un musicien qui continue en ne faisant pas attention à ce faux pas.

C'est faux quand je dis qu'tout le monde peut réussir
'Fin c'est vrai, mais c'est faux, comme dire que le cancer se soigne
Mais moi, je retiens l'meilleur et j'emmerde le pire
Ouais, y en a plein qui perdent, mais y en a plein qui gagnent

Il écoute les paroles, balance un peu la tête au rythme de la musique, essaye de s'ambiancer alors qu'il a qu'une envie : celle d'aller crever quelque part. Ou de pleurer. Il ne sait pas trop.

Ça m'fait plus vraiment rêver d'être le plus cool
Les plus stylés de mon lycée se sont fondus dans la foule
Ça m'fait plus vraiment peur d'avoir tort
Y a des médailles pour tout le monde, on est plein à être les plus forts

Silas Destombes se perd dans ses pensées. Il revient à la réalité lorsque c'est au tour de Théo de prendre la parole, de suivre le rythme de Bigflo, de se déchirer la voix quand il faut l'élever.

Alors oui, c'est du rap de fragile, pour les gens tristes
Du rap pour ceux qui pleurent, pour les trop sensibles, pour les gros cœurs
On prend nos émotions pour alimenter le moteur
Et moi aussi, j'ai flirté avec les profondeurs abyssales
Putain, j'ai la boule au ventre quand j'écris ça

Ce passage et ceux qui suivent lui font quelque chose à Silas, alors il décide d'ouvrir les yeux. Et croise le regard de Théo dans le rétroviseur alors que la voiture prend le chemin de la nationale.

EscapeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant