20. Gabin

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Le problème avec Gabin, c'est que sa culpabilité finit toujours par revenir l'envahir. Elle lui saute irrémédiablement au visage, plante ses griffes dans son cœur et lui tord l'estomac à l'en rendre malade. C'est ça, le Chevalier se rend malade de culpabilité. Il n'ose pas penser à Olivia, il ne veut pas l'envahir avec cette culpabilité trop lourde à porter, il ne sait même pas s'il oserait mentionner Charlotte à la jeune Deschamps pour qu'elle comprenne un peu, juste un peu, juste assez.

Alors, il boit, il court, il frappe. On dirait un animal sauvage qui se rend minable, qui se torture un peu plus chaque jour. De loin, Olivia assiste à cette étrange descente aux enfers. Elle le voit partir tard le soir et revenir tôt le matin. Où passe-t-il sa nuit comme ça ? D'où viennent ces bleus qui assombrissent le corps de celui qu'elle surveille par précaution ?  Ça lui fait mal de le voir comme ça, de le voir se tuer à petit feu. La jeune femme ne sait pas si elle peut intervenir. Si elle a seulement le droit d'intervenir, d'aller le chercher au fond de sa grotte de sentiments sombres.

Pourtant, un jour, elle pose quelques congés pour aller le voir. Elle se lève suffisamment tôt pour pouvoir l'attendre devant la porte de son appartement, bras croisés. Olivia ne lève pas la tête lorsque des bruits de pas retentissent dans le couloir silencieux. Gabin s'arrête à quelques mètres et l'observe : la jupe à fleurs sublime ses jambes tandis que le petit haut qu'elle porte met sa poitrine en valeur sans que ça ne frôle l'indécence - sur laquelle le petit vieux de l'appartement d'à côté aurait trouvé quelque chose à dire car c'était différent de son temps. Et mon Dieu, il émanait d'elle un mélange de vanille et de fleur d'oranger !

Ça lui fait tout drôle, au noiraud solitaire, de la voir là, sur son palier. Comme pour s'assurer qu'il ne rêve pas, il s'approche en faisant tinter ses clés, déglutissant difficilement alors qu'il cherche le courage de parler, de prononcer un mot, un seul, pour espérer une conversation banale alors qu'il sait que les conversations banales, ça n'existe pas avec Olivia Deschamps, tout ce qu'elle dit fait passer une conversation de banale à extraordinaire.

— Qu'est-ce que tu fais là, Deschamps ? finit-il par lâcher d'un ton bourru.

La brune relève la tête et plante son regard dans le sien. Pendant un instant, son regard dégringole sur ses lèvres, puis elle se dépêche de relever les yeux avant de le pointer du doigt avec un air qui se veut menaçant et attendrissant à la fois - ça arrache un rictus amusé à l'homme face à elle.

— Je suis venue voir que tu prends soin de toi et que tu fais pas le con, Chevalier, dit-elle.

— T'arrives trop tard alors...

Il l'attrape par le poignet pour la décaler afin d'ouvrir la porte, puis il entre dans l'appartement sans se préoccuper de la décision que prendra Olivia : entrer ou faire demi-tour. Quand il entend la porte claquer puis des petits pas derrière lui, il se retient de sourire. Elle ne le lâchera pas, pas aujourd'hui. Peut-être demain, ou plus tard. Il s'en fout, il est juste heureux de la voir regarder partout. Elle pince encore les lèvres en voyant sa décoration qui est toujours aussi pauvre.

— Je vais prendre un bain, fais ce que tu veux en attendant, la minimoy, l'informe-t-il en s'éloignant dans le couloir.

— Je vais t'aider à te laver, tu tiens à peine debout, répond-t-elle en lui passant devant pour trouver la salle de bain.

— Olivia...

— Quoi ? Tu sais bien que j'ai raison, Gabin.

Ce dernier ricane doucement et l'attrape par la taille pour la serrer doucement contre lui. Comme un enfant, il se cache dans ses cheveux et respire son odeur de vanille et de fleur d'oranger, humant son parfum comme le ferait un drogué avec sa came. Puis, retrouvant ses instincts moqueurs, il s'approche de son oreille.

— Dis plutôt que tu veux m'aider à me laver pour voir mon corps d'apollon... murmure-t-il.

— C'est vrai que j'ai pas bien vu la dernière fois, fait-elle en se retournant pour lui faire face.

Olivia a les yeux qui pétillent d'amusement. Ses mains se baladent déjà sur les joues du jeune homme qui dépose une main sur la sienne en fermant les yeux. Doucement, Gabin tourne la tête pour lui embrasser la paume, la faisant frissonner. Dans un élan de courage, elle se met sur la pointe des pieds et lui embrasse le bout du nez. Au moment où il ouvre les yeux, elle détale dans la salle de bain pour préparer le gel douche, le shampoing, la serviette et la trousse à pharmacie.

Tandis qu'elle fait couler l'eau du bain avec un air d'adoration, le noiraud l'observe depuis l'encadrement de la porte. Elle est petite et courageuse, la minimoy. Il se demande pourquoi elle s'obstine à rester près de lui alors qu'il lui a déjà dit qu'il était brisé.

— Pourquoi tu restes alors que je suis brisé ? marmonne le Chevalier en retirant son sweat qui finit en boule dans un coin de la pièce.

— Je te l'ai dit : tout ce qui est brisé se répare, dit la brune en attachant ses cheveux avec l'élastique qui traînait à son poignet.

— Et si je te dis que je suis un meurtrier ?

Du coin de l'œil, il la voit se figer. Elle se tourne légèrement vers lui et l'observe quelques secondes, prenant son temps pour trouver ses mots, comme si elle avait l'intime conviction que la suite de leur étrange relation dépendait de cet instant.

— Alors je te dirais que le passé, c'est le passé, que t'auras beau faire tous les efforts du monde, tu pourras rien y changer. Que le seul truc sur lequel tu pourras agir, ce serait ton présent pour éviter à ton futur de ressembler à ton passé.

Gabin se tourne complètement vers elle et la bloque entre lui et la baignoire. La jeune femme menace de basculer dans l'eau tandis qu'il rapproche son air torturé de son visage.

— Évidemment que mon futur ressemblera pas à mon passé puisque j'ai tué quelqu'un ! J'ai tué ma sœur, Olivia !

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