Ethan — jeudi 7 octobre 2021
Je reconnais le bruit de ses talons aiguilles qui couinent sur le sol en plastique de la réa. Aussitôt, mon rythme cardiaque s'accélère. Elle apparait quasi instantanément dans mon champ de vision, ses boucles rousses bien dessinées, son regard vert perçant et son petit nez recouvert de taches de rousseur. Elle avance vers moi de sa démarche toute féminine, ondulant dans sa jupe crayon marine et sa chemise blanche fluide.
— Tu m'as appelé ? fait-elle en arrivant à ma hauteur.
Je déglutis avec peine. Depuis une semaine, je l'ai évitée autant que possible dans le service. Je suis mal à l'aise depuis notre diner en tête à tête. Non seulement je culpabilise de ne pas l'avoir reconnue mais en plus, je ne sais plus comment me comporter avec elle maintenant que je sais ce qu'elle connait de mon passé. Je ne me suis jamais trouvé dans une telle situation, alors je me contente de baisser les yeux sur mon dossier et d'annoncer d'une voix plate :
— Oui, j'aurais besoin de ton aide pour les prescriptions de ce patient.
Je lui tends une ordonnance qu'elle parcourt rapidement, sans remarquer mon malaise.
— Zopiclone, Bromazepam, Fluoxetine, Olanzapine... énumère-t-elle.
Elle relève les yeux vers moi et je reporte aussi sec mon attention sur le reste du dossier. Ne pas l'observer à la dérobée s'avère aussi difficile que prévu.
— Oui, commencé-je. C'est un patient connu de la psychiatrie. Il a fait une occlusion, il est intubé et il ne peut rien prendre per os*.
J'ai dit tout ça très vite en parlant dans ma barbe. Je jette un œil à l'écran d'ordinateur devant la chambre pour me donner une contenance.
— Ethan...
— Hmm ?
Je fixe l'écran avec attention, mais les lignes de bilan s'entremêlent. À côté de moi, Julia émet un petit rire cristallin. Aussitôt, je sens ma gorge s'assécher.
— Ethan !
Cette fois-ci, elle pose ses doigts sur mon avant-bras pour me forcer à tourner la tête. Mes prunelles s'accrochent immédiatement aux siennes.
— Est-ce que tu ne vas plus jamais me regarder dans les yeux ?
Son regard se fait malicieux. Pour ma part, je ne peux penser qu'à une seule chose.
Sa main. Sur mon bras.
— C'était... une possibilité, avoué-je.
Elle glousse à nouveau et retire ses doigts de ma peau.
Non !
— C'est parfaitement ridicule. Je te l'ai dit, toutes ces histoires de fac, c'est du passé pour moi !
Elle m'adresse un sourire éclatant. De mon côté, j'ai la bouche aussi sèche que du papier de verre.
— Tu en es sûre ? Même cette... affaire avec la prof d'anat... marmonné-je.
— Stop !
Elle m'interrompt en levant les bras. Puis elle me lance un regard doux et je sens comme un poids s'enlever de mes épaules.
— Ça m'est égal, répète-t-elle. C'est vrai que je n'ai pas sauté de joie quand j'ai appris qu'on allait bosser ensemble, mais maintenant, ça me fait vraiment plaisir.
Elle ponctue ses paroles d'un nouveau sourire et je ne peux retenir un soupir de soulagement. J'aime qu'elle soit capable de mettre de la distance avec tout mon passif. Même si ça signifie qu'en retour, je doive la traiter comme une collègue lambda, moi aussi.
C'est le moins que tu puisses faire !
— Merci, Julia. Et à moi aussi, ça me fait plaisir.
Son visage s'éclaire et ses joues prennent cette teinte rosée qui la rend si adorable.
— Je vais te faire les prescriptions. Pour ton patient, précise-t-elle, comme je ne réagis pas.
— Ah, oui ! Le patient...
Je hoche la tête en signe d'approbation.
Une collègue lambda, hein ? C'est pas encore gagné...
— Merci pour ton aide, ajouté-je. Je ne comprends rien à tous ces traitements.
Ce qui est vrai. Je n'ai pas l'habitude de manier ces molécules complexes.
— Ce n'est pas si compliqué, répond-elle comme si c'était une formalité. Certains peuvent être passés en intraveineuse...
— Je veux juste éviter un sevrage en benzo*.
— Je vais te faire la conversion en valium.
Elle attrape un stylo dans la poche de sa blouse puis se penche sur la table et commence à griffonner l'ordonnance. Ça parait si facile pour elle... Je dois bien admettre que pour le coup, je suis impressionné.
Enfin, un peu seulement. Ça reste de la psychiatrie.
Mes yeux s'attardent sur la courbure de son dos que je devine, malgré sa blouse. Quelques mèches rousses s'échappent de sa barrette et retombent de chaque côté de son visage. Je reste à l'observer durant un temps qui parait suspendu.
— Voilà.
M'arrachant à ma contemplation, elle range son stylo et me tend l'ordonnance.
— Avec ça, pas de sevrage, annonce-t-elle.
— Merci, tu me rends vraiment service.
— Je t'en prie. N'hésite pas si tu as besoin.
Elle m'adresse un nouveau sourire et, après m'avoir jeté un dernier regard sous ses cils sombres, tourne les talons et repart dans le couloir. J'aimerais trouver quelque chose pour la retenir mais je me contiens. Si nous devons être amis, je dois apprendre à garder mes distances.
* per os : prise de médicaments par voie orale
* benzo : abréviation de benzodiazépines, classe de médicaments anxiolytiques
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Code Bleu [Sous contrat d'édition]
Roman d'amourEthan est un médecin réanimateur arrogant et sûr de lui. À l'hôpital, son charme fait des ravages, et il enchaîne les aventures éphémères. Alors quand Julia, une psychiatre aussi belle que brillante, débarque dans son service, il n'y résiste pas. Ga...