Chapitre 1

1K 90 8
                                    


— Kendra, par pitié, dis oui. Je te revaudrai ça à vie. Je ferai ton lit pendant un an, et je te paierai plein de Latté au Buzz. Ne m'abandonne pas, par pitié.

Je me tournai vers Jess en me retenant de glousser.

— Tu ne fais déjà pas ton propre lit.

— Pourtant, je m'engage à ce que le tien soit au carré absolument tous les jours.

Cette fille allait avoir ma peau avec ses grands yeux de biche et sa mine de chien battu. Elle joignit les mains l'une contre l'autre en se jetant presque à mes genoux.

— Pitié, pitié, pitié !

— Arrête ça, Jess.

— Ce sera juste pour les sélections ! Tu pourras te retirer de la liste quand tu veux.

— Je vais y réfléchir, lui promis-je.

Je replongeai dans mes exercices de comptabilité, épuisée d'avance. Tous ces chiffres me donnaient le tournis, ils formaient des pâtés grotesques sur le papier glacé. Mon père prétendait que bientôt, les maths allaient devenir aussi claires que de l'eau de roche à mes yeux. Tu parles. Un mois que je m'échinais à bosser comme une malade sur les cours, un mois que je coulais à pique vers un échec scolaire cuisant. Si je passais le premier semestre, ce serait beau. Jess, pris de pitié, lut mon document par-dessus mon épaule.

— Sur quoi tu bloques ?

— Je dois écrire un papier sur la différence entre un taux d'amortissement dégressif et linéaire, ainsi qu'y ajouter des exemples précis. Ça promet d'être passionnant. Tu m'aides ? suggérai-je à ma colocataire.

— J'ai bien fait de choisir histoire médiévale, pouffa mon amie.

— Je pense aussi que c'était une bonne idée. Tu verras Kendra, lançai-je en imitant la voix de mon père, c'est captivant d'étudier les chiffres. Tu vas adorer ça, j'en suis sûr. Mouais. Je préférerais en apprendre plus sur les chevaliers, tiens.

— Eh bien Dame Kendra, je suis désolée mais je ne pige rien à ce charabia. Laisse tomber pour ce soir, non ? Tu as besoin de te détendre.

— Rappelle-moi ce que c'est que de se détendre ? gémis-je.

— Faire la fête, parler à des garçons, aller voir un match de basket ?

Je poussai un long soupir en me rejetant en arrière. Mes yeux et mon crâne me faisaient atrocement mal, ce qui arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps.

— J'ai besoin d'un miracle et de beaucoup de café.

— Si tu me jures de t'inscrire sur la liste des aspirantes Psi, je peux passer au Buzz immédiatement ! en profita pour me corrompre mon amie.

— Tu es un monstre. Je vais m'en sortir sans. Allez, vade retro Satana.

Jess se dirigea vers son propre bureau en éclatant de rire. Elle venait de terminer une dissertation de deux pages sur les armes utilisées au Moyen Âge, et je ne l'avais même pas entendue se plaindre une seule fois. Le regard dans le vague, je laissai mes pensées m'entraîner autre part que dans un monde de formules et de chiffres. Peu de temps après, mes paupières s'alourdirent. Je tombais de fatigue, littéralement.

— Kendra, pourquoi tu as choisi cette branche si elle ne te plaît pas ? me questionna Jess avec sérieux. Je veux dire... je te vois lutter depuis un mois. Tu me peines, je te jure.

— Mon père est comptable, avouai-je, et comme je...

N'ai plus aucun souvenir de ma vie avant ces trois derniers mois, je croyais qu'en optant pour un cursus comme le sien, je m'en sortirais plus facilement, faillis-je confesser.

Zel : plumes de chaos (t3) - sous contrat d'édition chez HachetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant