Résidence des Hadler - 1963
Lorene ouvrit les paupières difficilement, elle avait passé la nuit au téléphone avec Michèle en douce. Elle sursauta en entendant du bruit au rez-de-chaussée et la voix d'un des domestiques qui conversait avec l'importun qui osait déranger sa précieuse grasse matinée en solitaire. Elle écarquilla les yeux soudainement. Celui qui avait subi reproche sur reproche la nuit précédente de la part de la blonde aux cheveux bouclés était là. Dans le hall. Avant d'entendre les pas de l'employé dans les escaliers, elle appela Jane en urgence. Cachée derrière son paravent blanc. Encore en chemise de nuit, décoiffée.
"J'avais complétement oublié qu'il devait passer !" murmura t-elle à l'encontre de sa femme de chambre qui s'empêchait de sourire. Voir sa maîtresse décontenancée était un phénomène rare, toujours drôle. Elle qui tenait tant à garder la face. Jane brossa la longue chevelure, l'attacha en queue de cheval haute et aida Lorene à enfiler une robe en tartan simple. Tant pis pour les bas en nylon. L'étudiante quitta sa chambre avec empressement car il était toujours malpoli de faire attendre trop longtemps un invité. Elle s'apprêtait à descendre les marches quand une main saisie la sienne.
"J'étais dans la bibliothèque, idiote."
Il ne savait vraiment pas comment saluer les gens.
"Oh, bonjour Descamps.
- Hadler." dit-il en la regardant de la tête aux pieds. "Je t'ai réveillé peut-être ?"
Elle rougit face à son sourire moqueur avant de se rendre compte que sa robe était à l'envers. Quelle honte. Son expérience en situations délicates la poussa à reprendre un air détaché, comme s'il n'avait pas visé juste et lui proposa de se rendre dans le bureau. Guidé par l'intendant. Pendant qu'ils se dirigeaient à l'endroit prévu, Lorene se cacha dans la première pièce venue pour mettre son vêtement dans le bon sens. Moins décolleté ainsi. Elle retrouva son camarade fasciné par le phonographe. Admirant le tube de métal doré.
"Il est magnifique, j'ai hâte d'entendre le son qu'il va produire. Il est ancien ?"
Elle répondit à chaque interrogation. Amusée par le comportement qu'il avait, encore plus lorsqu'elle ouvrit l'une des boites contenant les vinyles de ses parents.
"Met ceux que tu veux, ils rentrent aux alentours de 11h." déclara Hadler sans arrière-pensée.
Joseph de son côté, tentait de garder une attitude décontractée. Intérieurement, il avait envie de prendre des libertés et de flirter ouvertement avec elle. Lui qui s'était juré de ne jamais le faire, hésitait. Son apparition alors toute chiffonnée au saut du lit était plus que charmante et sa mine à peine éveillée le troublait. Elle avait des cernes, un teint pâle et les joues légèrement roses malgré le temps écoulé depuis sa plaisanterie. Il saisit un morceau de rock et vit le visage de son hôte s'illuminer.
"Prête pour ton premier cours ?
- Tu ne peux pas savoir comme c'est hilarant que tu prennes le rôle de professeur." lâcha t-elle en riant. "Oui, je suis prête, monsieur. Je n'ai pas pensé à enfiler un pantalon, ce doit être plus pratique qu'en robe ?"
Descamps haussa les épaules avant de se rapprocher d'Hadler. Sans savoir vraiment où il était autorisé à poser les mains. Ils prirent le temps de s'apprivoiser, sans se brusquer et en demandant à chaque fois s'ils pouvaient se toucher là, mettre un bras autour d'une taille, d'un cou. Cherchant tous les deux à maintenir une concentration maximale malgré la proximité de leurs corps. Il y eut des incidents évidemment dont un que Joseph fut heureux d'éviter - car se prendre une jambe dans les bijoux de famille est fort désagréable, il est vrai. Puis le jeune homme manqua de se prendre un meuble, avec un globe oculaire en moins, il apprenait petit à petit à ne plus se cogner partout. L'anglaise le ramenait à elle sans y mettre trop de force, ce qu'il apprécia. Une fois que les mouvements basiques furent compris de la demoiselle, ils mirent le morceau à son début et purent danser de tout leur saoul jusqu'à ce que le vinyle ne cesse de tourner. Fatigués de leurs efforts communs, ils décidèrent d'en rester là. Lorene remercia chaleureusement Descamps. Excitée d'avoir réussi si rapidement. Il changeait de disques, les retournait sans franchement la quitter de l'œil. Et fut davantage agité qu'elle ne le remarque pas. Encore grisée par sa victoire. Afin d'attirer son attention, il joua à manquer de faire tomber le 33 tours qu'il s'apprêtait à prendre. La demoiselle sursauta et rattrapa le précieux objet.
"Fait attention s'il te plaît, personne ne sait que tu es ici en dehors de Peter et Jane. Et mon oncle sait que je ne touche pas à ses affaires en temps normal."
Leurs regards se croisèrent enfin et Descamps voulut profiter de cet instant pour retrouver l'intimité qu'ils eurent en dansant, il voulait savoir s'il pouvait tenter quoi que ce soit. Cependant quelqu'un frappa à l'entrée, empêchant toute action intrépide, prématurée, du jeune homme qui se sentit ridicule d'avoir ne serait-ce que pensé à prendre Hadler dans ses bras. Celle-ci quitta la pièce en ôtant son collier - celui qu'elle arborait tous les jours. Joseph la vit mettre une bague à son annulaire droit. "Ce n'est pas ce que j'imagine..." se questionna t-il.
"Miss, monsieur Frédéric s'est libéré pour vous rendre visite, il est dans le petit salon."
Lorene se mit à trembler, elle avait naïvement rêvé qu'il ne viendrait pas à l'instar de dimanche dernier.
"Je suis navrée, il faut que tu t'en ailles sans faire de bruit.
- Explique moi, Hadler.
- Ce n'est pas le moment. J'aurais voulu que tu puisses rester plus longtemps mais si il te voit..."
Ses tremblements témoignaient d'une crainte immense, dévoilant à Joseph les potentielles retombées de sa présence en tête à tête avec une femme déjà fiancée.Descamps quitta en trombe la ruelle de la résidence des Hadler, envahie par une voiture noire au charme et à l'élégance que seule la bourgeoisie pouvait s'offrir. L'humiliation le possédait. Quelle stupide idée de s'être approchée de cette pimbêche et de son foutu phonographe ! Il pensait la séduire, découvrir s'il avait encore de quoi charmer et elle était si angélique aujourd'hui... Elle avait un prétendant. Riche, sans doute dépourvu d'un visage à moitié dévoré par une cicatrice hideuse et lui avait probablement le droit de la couvrir de baisers. De connaître le parfum dont elle embaumait sa nuque. Encore une fois, il eut l'impression qu'on lui volait quelque chose qui lui revenait de droit. Il s'était réveillé sûr de lui, certain qu'il pourrait goûter aux lèvres d'une fille pour la première fois. Et Joseph se sentait tellement idiot d'avoir espéré. Ç'aurait dû être facile. Il s'était imaginé la scène dans son lit la veille au soir, il y aurait eu la musique, un air tendre et un contact visuel. Lorene aurait rougi en avouant qu'elle n'était pas concentrée sur la mélodie en fond. Il aurait alors déclaré que lui non plus et hop : l'affaire était dans le sac et il comptait s'en vanter auprès des autres une fois à Voltaire. Malheureusement il y avait un fiancé. Quelqu'un comme elle. Se voir en secret lui avait procuré de drôles de frissons, la saveur d'un interdit pour lequel il ne devait céder. Qui sait ce qu'il se serait passé s'ils s'étaient embrassés comme prévu ? Aurait-elle accepté ? Et depuis combien de temps portait-elle ce collier ? Il avait prêté attention à tout sauf au creux de sa poitrine - en partie pour ne pas qu'elle le traite de pervers. Principalement, parce qu'elle s'était évertuée à cacher la bague qui pendait à son cou, métaphore officieuse de la corde du condamné. Descamps comprenait enfin le sens de ces paroles balancées avec nonchalance, de ce chagrin à peine dissimulé qui ne voulait que s'exprimer. Elle ne l'aimait pas, ce "Frédéric".
C'était hors de question qu'il tombe dans le piège de la demoiselle en détresse. Il n'était pas un chevalier romantique et servile, prêt à tout pour le cœur d'une femme. Ce qu'il désirait, ce n'était qu'un baiser, qu'elle se pâme pour qu'il reconstruise sa confiance en lui. Non, ce n'était pas de l'attirance, simplement de l'ego..........................................................
J'étais si impatiente de publier ce chapitre que je modifie depuis des jours.
Ils se rapprochent petit à petit !
J'espère que votre début de semaine se passe à merveille - merci pour les votes !
Bien à vous, Camille
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The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963
Romance1963 - Le premier lycée ouvre ses portes aux jeunes femmes, faisant preuve de modernité dans un monde en éternelle évolution. 12 demoiselles se sont armées de détermination afin d'obtenir leur diplôme et ainsi briser les codes d'une société qui les...